Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/1180

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heure, pour le remettre debout sur son courage, faudrait lui dire que son amitié ne vous fait point affront et que la maison d’un pauvre passeur vous paraîtra aussi plaisante que la belle maison du grand boisier. Ne serait-ce point mentir, ma fille, dites-moi ?

Renée, rouge et tremblante, ne put retenir davantage ses larmes ; elle voulut cacher son visage dans son tablier ; mais le passeur la pressa doucement de répondre. Alors, se penchant sur son épaule, elle murmura : — Consolez-le… n’importe comment…

Urbain, qui s’était approché pour entendre, jeta un grand cri et tomba à genoux de l’autre côté du vieillard, qui les enveloppa tous deux de ses bras. Quant à la sourde-muette, dès qu’elle eut compris ce qui venait de se passer, elle frappa l’un contre l’autre ses poings fermés, fit entendre son glapissement douloureux, et s’élança hors de la chambre en refermant la porte avec violence.


III

L’entretien se prolongea entre la jeune fille, Urbain et le passeur. Les craintes de ce dernier, d’abord pour le bonheur, puis pour l’existence de son fils, l’avaient amené à la résolution qui venait de s’accomplir. Obligé de renoncer à ses projets malgré les raisons données à la jeune fille et des répugnances particulières dont il lui avait fait un secret, il ne voulut point que de nouvelles réflexions pussent en ravivant les regrets, créer de nouvelles incertitudes. Ami des questions tranchées, comme tous les esprits simples et prompts, il proposa lui-même de parler sans retard au grand boisier.

L’inégalité de fortune des deux familles eût pu sembler un obstacle, si la filleule avait eu quelques droits sur celle de son parrain ; mais, restée orpheline et sans ressources, Renée n’avait rien à attendre de maître Richard. Il ramenait trop souvent le souvenir des sacrifices auxquels l’avait forcé l’éducation de la jeune fille et l’avertissement qu’elle ne devait point attendre de dot, pour qu’on le supposât disposé à lui faire part de son opulence. L’important était donc de prévenir toute autre demande que le grand boisier eût peut-être d’abord agréée sans préférence, mais qu’il n’eût point manqué de soutenir ensuite avec obstination. Les assiduités de M. Lenoir, ce jeune conducteur, dont Robert avait autrefois parlé, pouvaient inspirer à cet égard quelques inquiétudes. Urbain, qui s’en était montré malheureux et jaloux, les rappela de nouveau, et Renée avoua en rougissant que le jeune homme avait essayé plusieurs fois des aveux qu’elle avait eu quelque peine à interrompre. Son parrain lui-même s’était aperçu de sa recherche, et, depuis quelques jours, il y avait fait allusion plusieurs fois en riant.

Cette révélation rendait plus pressante la nécessité de parler à maître