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Vous êtes folle, la Claude ; c’est impossible ! — Hein ! — Vous dites que vous en êtes sûre ! Il y a déjà pensé ? — Par le vrai Dieu ! entends-tu ce qu’elle dit, toi ? Est-ce vrai, malheureux ? Réponds, est-ce vrai ?

Urbain s’assit sur le bord du bateau et cacha son visage dans ses deux mains.

— Quoi ! reprit le passeur après un moment de silence, as-tu vraiment renié ton baptême pour vouloir mourir de ta volonté et en donnant ton ame à la damnation ?

— Je vous ai averti, murmura Urbain d’une voix saccadée. Par momens le cœur me saigne si fort que je ne me commande plus et que je me sens emporté à la mort. Hier, en passant avec la Claude dans le petit bac, quand nous sommes arrivés au fort du courant, j’ai eu une tentation, c’est la vérité. Je me suis levé malgré moi en criant de tristesse, et j’ai mis le pied sur le bord du bateau. L’eau m’attirait ; mais la Claude m’a retenu et m’a regardé d’un air qui m’a fait honte… J’ai repris l’aviron… seulement, mes idées me font peur, et voilà pourquoi je veux partir.

— Et qui me dit que tu seras plus sage loin d’ici ? objecta Robert. Que feras-tu si tu es pris là-bas du mal du pays ? Il n’y aura plus personne pour te défendre contre tes mauvaises pensées. Jureras-tu par ta communion de me revenir, sauf les jugemens de Dieu ?

Urbain ne répondit pas.

— Tu vois, tu n’oses pas promettre, continua son père avec angoisse, tu n’as pas de confiance en toi-même. Ou plutôt, tiens, veux-tu que je te dise ? tu as menti, malheureux ! Ta partance n’est qu’un coup de désespoir ; tu veux être loin de nous pour rester maître de ta vie et la mettre à terre quand elle te pèsera trop lourd. Sois franc une dernière fois ; avoue, malheureux, avoue !

— Eh bien ! que Dieu vous pardonne ! vous avez dit ce que je n’osais pas me dire à moi-même ! s’écria Urbain, dont la douleur éclata ; oui, si Dieu ne me redonne le goût de vivre, il faudra en finir. Oh ! ne me le reprochez pas, mon père ; je me le reproche assez. Bien des fois j’ai frappé ma poitrine de rage en me disant : Tu es un lâche ! — Et le souvenir de la Renée restait toujours le plus fort. Beaucoup, à ma place, croiraient qu’elle emploie quelque méchant charme pour me perdre ; mais moi, je ne l’accuse point, je ne lui en veux pas ; non, après tout le mal qu’elle m’a fait, je la voudrais encore heureuse comme une reine.

— Alors, dit le passeur attendri malgré lui, c’est d’elle seule que dépend ta peine ou ton contentement.

— Hélas ! reprit Urbain, dont la voix faiblissait, je ne l’ai pas voulu, mais c’est la vérité. Je ne vous dirai pas comme je l’aime, mon père ;