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un esprit tel que le sien, elle dut être particulièrement pénible. En résultat cependant, elle contribua beaucoup à la supériorité qu’il devait atteindre quelques années après. Cette rude épreuve, la souffrance morale qu’elle lui infligea, firent de lui un nouvel homme, et bien que, dans l’affaire de la réforme parlementaire, il ait commis depuis la même méprise, cette nouvelle erreur ne fut pas sans avantage, puisqu’elle le mit en mesure de rallier autour de lui les fragmens de l’ancien parti tory et de reconquérir le pouvoir avec leur appui. Sa conduite pendant son dernier ministère, bien qu’elle ait excité le ressentiment à jamais implacable de quelques-uns de ses partisans immédiats, l’a rendu le ministre le plus populaire et l’homme d’état le plus puissant que l’Angleterre ait possédé depuis le premier Pitt. La nation avait confiance dans sa prudence ; elle le croyait sincèrement dévoué à la cause de la prospérité du pays et animé d’une sympathie réelle pour les masses de notre industrieuse population. Un sentiment qui devenait de plus en plus général, c’est qu’il était destiné à être le ministre du peuple, que, soutenu par l’appui populaire dans lequel il aurait fini par trouver son unique force, il serait en état de s’affranchir de la règle qui, jusqu’à présent, a maintenu exclusivement entre les mains de l’aristocratie le gouvernement de l’Angleterre, et de faire asseoir sur les bancs de la trésorerie une administration vraiment nationale, une administration dans laquelle la sagacité pratique et les intérêts variés des classes mercantile, manufacturière et ouvrière auraient des représentans qui y prendraient place, non plus avec le caractère subalterne de ministres en sous-ordre, mais sur le pied de collègues indépendans et égaux, non plus comme recevant leurs emplois à titre de faveur pour aussi long-temps qu’on voudrait bien les souffrir, mais les prenant comme un droit et les conservant, non par la volonté d’une coterie exclusive, mais par celle de la nation. Le peuple anglais, croyant que telle était la dernière mission réservée à sir Robert Peel, avait les yeux fixés sur son avenir avec une attente impatiente. Il devenait plus cher à la nation à mesure qu’il perdait la faveur de son parti, et il ne fut jamais si puissant que lorsque ce parti, qui l’accablait d’outrages, parut avoir rompu pour jamais avec lui. Malheureusement cette espérance ne devait pas être réalisée, et l’intensité de la douleur publique à la mort de sir Robert Peel a donné la mesure de ce qu’on attendait de lui. »

Ce jugement porté par un radical sur l’ancien chef des tories est certainement digne d’attention. La nature même de quelques-uns des éloges qu’il lui donne avertit assez qu’on ne doit pas s’attendre à la même bienveillance dans les portraits que trace M. Roebuck des principaux whigs ; ce sont toujours pour lui les chefs d’une aristocratie égoïste, d’une coterie dont la seule pensée est d’arriver au pouvoir et