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pas une petite part. Soumis à l’influence de fortes passions, d’une foi inaccessible au doute, mais sujet à des accès de découragement, il était merveilleusement propre à devenir l’instrument d’un clergé entreprenant et rusé. Les prêtres de son église avaient trop de sagacité pour ne pas se rendre un compte exact de la nature et de l’étendue de leur pouvoir sur son esprit. Ils connaissaient sa faiblesse et leur propre force ; ils n’avaient donc aucune inquiétude à concevoir de la puissance qu’ils l’aidaient à acquérir sur les paysans, parce qu’ils étaient certains que ce pouvoir ne serait jamais employé à diminuer… leur influence spirituelle ni leur autorité temporelle et leur richesse…

« M. O’Connell était un légiste consommé, connaissant parfaitement le caractère des Irlandais, toujours prêt à leur venir en aide, soit qu’ils fussent mis en accusation par le pouvoir, soit qu’ils eussent entre eux des différends. Sans rival dans l’habileté avec laquelle il savait, en matière criminelle, ménager les dispositions d’un jury en faveur de ses cliens, ses argumentations en matière civile devant les juges de Dublin étaient de véritables modèles de ce genre d’éloquence. Le contraste de sa manière dans ces différentes occasions prouvait sa merveilleuse souplesse et avait dû préparer la chambre des communes à la parfaite convenance de son attitude, lorsqu’il parut pour la première fois devant elle comme le représentant de l’Irlande catholique-romaine. Il fut toujours un acteur accompli, et il savait prendre et quitter tous les rôles au moment où cela lui convenait. La bouffonnerie familière et sournoise, le pathétique grossier, presque vulgaire, mais en réalité plein d’art et d’adresse, le sarcasme de l’avocat défendant un accusé devant les assises, étaient entièrement mis de côté et remplacés par un langage simple, grave, même poli, lorsqu’il fallait argumenter devant les magistrats des cours supérieures. Et cette éloquence contenue, mais toujours naturelle, combien ne différait-elle pas de celle du violent démagogue, de l’accusateur passionné des oppresseurs de son pays, dont la parole subjuguait, entraînait les immenses rassemblemens de l’Association catholique ! Il semblait, sur ce théâtre, se jouer dans sa liberté, rejeter toute contrainte, renoncer à exercer un contrôle quelconque sur ses sentimens, se rendre, en un mot, l’esclave de ses passions. Mais, jusque dans ses écarts en apparence les plus sauvages, il était toujours vraiment maître de lui-même ; donnant aux plus extrêmes licences du langage l’apparence des élans d’une indignation qu’il ne pouvait contenir, faisant ainsi de la passion une excuse, alors qu’elle ne lui était qu’un prétexte, il inspirait aux autres, il leur faisait partager cette indignation même dont il leur offrait l’image accomplie. À la chambre des communes, on ne retrouva plus le moindre vestige du démagogue énergumène. Parmi les difficultés de l’art oratoire, il n’en est aucune qui puisse entrer en