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téméraire, mobile et porté au changement. » Ailleurs, voulant expliquer pourquoi lord John Russell fut chargé de proposer le bill de réforme plutôt que tel autre personnage que ses talens ou son importance personnelle semblaient désigner davantage pour cette initiative, il fait cette remarque caractéristique : « La sagacité du parti ne pouvait manquer d’apercevoir l’avantage qu’il y avait à lier le nom d’une des grandes familles whigs au mouvement populaire qui agitait le pays. Le peuple anglais, depuis le temps de Charles II, a toujours vu avec faveur la maison de Russell, et il lui plaisait qu’un rejeton de cette maison jouât le rôle de chef populaire. Les ministres se prévalurent de ce sentiment. »

La même sagacité, la même impartialité, distinguent les portraits que trace M. Roebuck de quelques-uns des hommes qui ont figuré dans ces derniers temps sur le théâtre de la politique anglaise. Je citerai celui du célèbre O’Connell, malgré sa longueur. Il était difficile, ce une semble, de mieux tenir la balance entre l’enthousiasme et le dénigrement également exagérés dont le grand agitateur irlandais a été l’objet. « L’histoire du genre humain, dit M. Roebuck, présente peu d’exemples d’une puissance aussi extraordinaire que celle que M. O’Connell a exercée sur ses compatriotes. Il était lui-même un complet et véritable Irlandais, possédant beaucoup de grandes facultés, mais dépourvu de beaucoup d’autres, sans lesquelles un homme ne peut pas être considéré comme véritablement grand. D’un aspect imposant, doué d’une voix belle et flexible, d’un esprit abondant, vif et souple, habile à résumer une longue argumentation en une sentence d’une concision épigrammatique, il semblait formé par la nature pour le rôle que la situation de son pays l’appela à jouer. Son éducation première avait donné à ses manières quelque chose de la douceur ecclésiastique, lorsqu’il se trouvait dans un cercle de gens bien élevés d’Anglais surtout ; mais, lorsqu’il s’adressait aux Irlandais, il ne lui était nullement difficile de prendre, ou, plus exactement peut-être, de reprendre un ton tout différent, qui lui gagnait complètement les cœurs si inflammables des paysans… sur lesquels il exerçait un despotisme absolu. Son influence était très grande aussi sur le clergé catholique, dont l’appui lui avait procuré et lui conservait la puissance extraordinaire dont il était investi par rapport aux masses ignorantes. Lorsqu’il parlait du clergé, lorsqu’il adressait la parole à un ecclésiastique, la déférence de son attitude ressemblait à une prostration complète de l’esprit et du corps devant la domination spirituelle. Par la stricte observance des formes de la religion, par la ferveur de sa dévotion extérieure, il avait conquis la confiance et l’estime du clergé catholique irlandais… Cette confiance mutuelle tenait en grande partie au caractère de la piété de M. O’Connell, dans laquelle la crainte n’avait