Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/1141

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre ces erreurs mêmes et à nous les faire apercevoir. Dans M. Roebuck, le bon sens britannique domine le plus souvent les entraînemens de l’homme de parti. Une idée qu’il reproduit à plusieurs reprises et sur laquelle il s’arrête avec un sentiment non équivoque de satisfaction et d’orgueil, c’est que le peuple anglais a la force et la sagesse de réaliser par les voies légales les réformes nécessaires, sans recourir à l’arme terrible des révolutions. La comparaison qu’il établit à ce sujet entre la France et l’Angleterre n’est certes pas inspirée par l’esprit de démagogie révolutionnaire : « En France, dit-il, gouvernans et gouvernés se sont rarement résignés à laisser régler leurs différends par l’action graduelle de la loi et à permettre que les décisions de la majorité se manifestassent dans des formes paisibles et permanentes. La force est le moyen par lequel tous les partis ont cherché à assurer le triomphe de leurs opinions. Le gouvernement viole la loi, le peuple s’insurge, une lutte sanglante en est le résultat ; une dynastie est renversée, une autre établie ; le peuple fait preuve d’un courage héroïque, d’une clémence plus héroïque encore, de vertu, en un mot, dans la plus haute acception de ce mot ; mais quelque chose y manque, quelque chose dont les gouvernans et les gouvernés sont également incapables : la soumission à la toute-puissance de la loi, ce respect presque superstitieux pour les formes mêmes de la légalité, qui distinguait les Romains dans l’antiquité comme il distingue de nos jours les Anglais et les Américains, et qui, lorsqu’un peuple s’en est pénétré, contribue plus que toute autre chose à lui assurer les biens immenses qu’un gouvernement régulier et permanent peut seul lui procurer. » Ainsi parle M. Roebuck. Dans ce beau passage, dont la sévérité courtoise par rapport à la France est faite pour nous inspirer de si tristes réflexions, je ne trouve à relever qu’une erreur. M. Roebuck, entraîné sans doute par ses sympathies radicales, attribue aux Anglo-Américains un esprit de légalité comparable à celui des Anglais : ils l’ont eu jadis, mais le principe extrême sur lequel repose leur gouvernement, les progrès toujours croissans de la démocratie, l’ont depuis long-temps singulièrement affaibli. La parfaite légalité, comme la parfaite et vraie liberté, n’est compatible, au moins dans un grand pays, qu’avec les gouvernemens tempérés, avec ceux où il existe des contre-poids ; elle ne se concilie pas plus avec l’absolutisme populaire qu’avec l’absolutisme royal. Cette observation n’ôte rien d’ailleurs à la justesse des considérations générales si bien exprimées par M. Roebuck.

C’est avec le même bon sens, la même indépendance d’esprit, qu’il constate les dispositions politiques des classes moyennes dans la Grande-Bretagne : « Elles sont, dit-il, très circonspectes, et contraires à toute expérience trop hardie ; rien ne serait donc plus propre à déconsidérer un chef populaire, à détruire son influence, que de passer pour léger,