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ne peut attendre de tous, pour surmonter en eux l’influence débilitante de l’égoïsme.

Cette erreur de jugement qui consiste à vouloir tout individualiser dans la politique et à croire la nature humaine assez grande, assez forte, assez pure pour que chacun puisse, sans inconvénient, être livré à ses propres inspirations dans ses rapports avec la société, cette erreur, si commune en France, l’est beaucoup moins chez nos voisins ; mais, je l’ai déjà dit, elle caractérise parmi eux les radicaux, et M. Roebuck, malgré la distinction de son intelligence, est loin d’y avoir échappé dans son récit des événemens qui ont précédé le vote du bill de réforme. Comme tous les esprits absolus, il éprouve une aversion instinctive, un dédain assez mal dissimulé pour les esprits modérés et circonspects qui, ne considérant pas les doctrines de la politique comme aussi inflexibles que les principes de la morale, croient pouvoir, avant d’en déduire toutes les conséquences logiques, en examiner le côté pratique et les effets relatifs. Les whigs surtout, par cela même qu’ils sont des réformateurs modérés et qu’il est de leur nature, tout en poussant aux innovations, de ne pas les porter au-delà de certaines limites, les whigs lui paraissent faibles et inconséquens, et il les juge souvent avec plus de sévérité que les tories eux-mêmes. Il est évidemment scandalisé de la tactique habile par laquelle, comme je l’ai raconté, ils s’efforcèrent tout à la fois d’assurer au bill de réforme l’appui du roi, qui était loin pourtant d’en désirer le succès, et de conserver à ce prince une popularité que lui eût bientôt fait perdre la publicité de ses dispositions réelles ; il semble voir parfois, dans les ménagemens qui étaient la conséquence de cette politique, autant d’actes d’adulation courtisanesque. Il reproche sérieusement aux membres du cabinet l’esprit de prudence et de circonspection qui, dans la chaleur même du combat, les engageait à ménager leurs coups de peur de dépasser le but et de trop ébranler les bases de la société politique ; suivant lui, il y avait quelque chose d’étroit et d’égoïste dans la préoccupation qui leur faisait craindre que la réforme, poussée trop loin, n’eût pour effet d’affaiblir l’influence de leur propre parti : comme si un des premiers devoirs de tout homme public n’était pas de travailler à assurer le triomphe du parti auquel, apparemment, il ne s’est attaché que parce qu’il l’a cru en accord avec les besoins et les intérêts du pays.

En résumant succinctement ce qui, dans les jugemens historiques de M. Roebuck, me paraît empreint d’un caractère de partialité et de prévention hostiles, je crains d’avoir été moi-même trop sévère à son égard. Je ne donnerais pas de son livre une idée suffisamment favorable, si, à côté des erreurs que j’ai cru y trouver, je n’indiquais tout ce qu’il contient d’observations vraies et équitables, d’appréciations judicieuses, propres, par une heureuse inconséquence, à nous prémunir