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au point que, sur les 550 membres dont se composait cette chambre avant l’incorporation de l’Irlande, 97 étaient nommés directement, positivement par le ministère et par la pairie, 71 par leur influence non contestée, 91 par des membres de la chambre des communes elle-même ; enfin 306, plus de la moitié de la totalité, étaient élus par le concours de 160 individus seulement.

Comme il est de la nature de pareils abus de s’accroître indéfiniment lorsqu’on n’y applique pas à temps un remède énergique, il est difficile de se rendre compte du résultat auquel on serait arrivé, si l’on eût continué à marcher dans cette voie : ce n’était plus celle d’une grande et forte aristocratie, c’était celle d’une oligarchie qui, à la longue, n’eût plus ressenti les pulsations du sentiment public, et serait devenue étrangère aux besoins, aux vœux du pays.

Déjà, vers la fin du dernier siècle, l’idée de changer un tel état de choses s’était présentée à beaucoup d’esprits. Les uns, cédant à l’impulsion des théories de l’époque, mettaient en avant des plans de réforme fondés plus ou moins strictement sur les principes d’égalité, de souveraineté populaire et de suffrage universel, dont bien peu de personnes soupçonnaient alors la terrible portée ; d’autres, plus fidèles à l’esprit anglais, proposaient seulement des mesures de détail qui avaient pour objet de faire disparaître les plus grossiers abus du système existant, tout en conservant ses bases avec un respect presque superstitieux. Pitt lui-même débuta dans la carrière politique par de semblables tentatives.

La révolution française arrêta cette tendance déjà assez marquée. La chute du trône de Louis XVI et les crimes de la terreur, en exagérant dans la portion la moins nombreuse de l’opposition britannique les désirs d’innovation qui la travaillaient, en la poussant à des entreprises violentes contraires aux mœurs et aux idées du pays, précipitèrent le gouvernement et l’immense majorité de la nation dans une réaction anti-libérale qui retarda d’un demi-siècle le mouvement des réformes et des améliorations. Lors même que la monarchie bourbonnienne eut été rétablie en France et l’Europe pacifiée, bien des années s’écoulèrent encore avant que les amis de la liberté, les adversaires des vieux abus, pussent reprendre en Angleterre leur tâche violemment interrompue.

La question de la réforme parlementaire surtout paraissait presque abandonnée. À l’exception d’une poignée de radicaux qui semblaient se plaire à la discréditer par l’exagération de leurs utopies, elle ne trouvait plus que d’assez timides défenseurs dans les rangs de l’opposition, dont les efforts principaux tendaient alors à préparer le triomphe, bien difficile aussi, de l’émancipation catholique. Les whigs, bien qu’ils ne laissassent échapper aucune occasion de professer en termes généraux la doctrine de la réforme, étaient loin, pour la plupart, de