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Il n’est pas besoin de dire que, dans les premiers temps, la position de ces deux classes de députés présentait de grandes différences et que ceux du tiers-état (pour parler notre langage) ne marchaient pas les égaux des délégués de l’aristocratie secondaire. Peu à peu, pourtant, cette inégalité s’atténua beaucoup sans jamais disparaître complètement. À mesure que le commerce et l’industrie prirent de l’importance, leurs représentans commencèrent à jouer un rôle plus considérable dans le parlement ; mais, comme si tout avait dû conspirer, en Angleterre, à l’affermissement de l’aristocratie, comme si, à condition de modifier ses formes, elle était destinée à conserver dans tous les temps l’empire de ce pays, il arriva que, par le cours naturel des événemens, la représentation des villes et des bourgs, destinée en apparence à balancer son ascendant, devint pour elle un nouvel instrument de prépondérance et de domination.

Tandis que la navigation et le commerce transformaient en villes riches et populeuses de simples bourgades, tellement insignifiantes il y a quelques siècles, qu’on n’avait pu songer alors à leur attribuer le droit de députer au parlement, des cités, des bourgs jadis assez considérables pour que ce droit leur eût été reconnu, perdaient peu à peu leur importance et leur population. Il en résulta, d’une part, que les véritables centres du mouvement industriel, les villes où l’esprit démocratique avait des chances de prévaloir, se trouvèrent privées de la faculté de faire entendre leur voix dans les conseils de la nation, de l’autre, que d’anciennes cités complètement déchues de leur prospérité primitive, quelquefois réduites à un petit nombre de pauvres maisons, ou même à une simple masure soigneusement conservée, pour ne pas laisser éteindre le droit qui y était attaché, continuèrent à envoyer des représentans à la chambre des communes. Par l’effet de ces transformations, le droit électoral devint, dans un grand nombre de lieux, le privilège, soit de quelques habitans pauvres et obscurs qui en faisaient ouvertement trafic, soit d’un pair du royaume ou d’un grand propriétaire qui en disposait pour ouvrir à ses enfans les portes du parlement ou pour y faire admettre ses amis et ses protégés, qui souvent même en faisait l’objet de transactions pécuniaires sans que l’opinion publique en fût trop scandalisée, parce qu’on s’était habitué à voir dans l’électorat une sorte de propriété. Dans certaines villes qui avaient conservé une population de quelque importance, cette population, par l’effet de circonstances qu’il serait trop long d’expliquer, se trouva déshéritée du droit de suffrage au profit de quelque corporation composée d’un petit nombre d’hommes sans indépendance et sans lumières, peu capables d’apprécier un aussi grand privilège et d’en faire usage dans l’intérêt, général ou même dans leur intérêt bien entendu.

S’il faut en croire des calculs présentés avec autorité, vers la fin du dernier siècle, à la chambre des communes, les choses en étaient arrivées