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notion de la fortune par l’agiotage, et par son papier monnaie il a préparé les assignats. Du reste, il fut la première victime de sa folle confiance dans des théories économiques qui n’avaient point pour elles la sanction de l’expérience, et, après avoir donné 17 millions de dot à sa fille, il mourut, en 1729, aussi pauvre que ceux qu’il avait ruinés.

L’agiotage sur les blés fut peut-être plus fatal encore que l’agiotage sur les actions du Mississipi, et l’on trouve dans le Journal de Barbier, à la date du mois d’août 1725, la première mention de ces coupables spéculations qui reçurent le nom de pacte de famine, et qui causèrent, jusqu’en 1789, onze disettes en France. Voici ce que dit Barbier : « M. d’Ombreval, lieutenant de police, a été révoqué samedi. Il est peut-être vrai qu’il ait dit bien des impertinences dans les marchés, comme que le pain viendrait à dix sous, qu’il n’y avait qu’à donner des choux aux enfans de ceux qui n’avaient point de quoi avoir du pain, et autres sottises semblables ; mais l’on dit que c’est lui seul qui avait fait le manège du pain, qui défendait aux fermiers d’apporter des blés afin de faire vendre cher du blé que Samuel Bernard et les Pâris avaient en magasin, et que le gain se partageait entre Mme de Prie, lui et quelques autres. » Ces détails sont précieux, surtout par leur date, en ce qu’ils montrent que ce n’est point en 1729, comme on le dit ordinairement, mais sous le ministère même du duc de Bourbon, que le pacte de famine prit naissance ; et comme les informations de l’histoire sont encore très incomplètes sur ces faits, qui devaient nécessairement s’accomplir dans l’ombre et le mystère, il est bon, quand on les rencontre, d’en noter les moindres détails. Ceux qui prirent part à ce criminel agiotage, les fils des traitans que Colbert avait traduits à la chambre de justice, et que Lesage a si bien peints sous le nom de Turcaret, réalisaient pour la plupart d’énormes bénéfices. Samuel Bernard laissa en mourant plus de 30 millions de capital ; Fargès, que la Biographie universelle fait mourir pauvre, laissa plus de 20 millions. Les filles de Bernard s’allièrent aux plus illustres familles du royaume, et aujourd’hui même, en remontant à la source de quelques-unes de nos grandes fortunes, on se retrouve en face du pacte de famine. Le gouvernement, qui, au milieu de ces honteuses spéculations, était volé comme les particuliers, le gouvernement laissait tout faire. Quand la disette arrivait par suite de l’accaparement des blés, au lieu de couper court au mal en punissant les fripons de conséquence, on cherchait, dans d’insignifiantes mesures, un remède à la misère publique. En 1740, afin de combattre la cherté du pain, on défendit de faire des gâteaux pour la fête des Rois, et d’employer la farine dans la fabrication de la poudre à cheveux. Le roi lui-même ignorait ce qui se passait sur les marchés de Paris, et, quand le pain était à six sous la livre, le contrôleur-général lui faisait croire qu’il ne valait que dix-huit deniers pour les pauvres, et deux sous six deniers pour les riches. On avait agi de même à l’égard de Louis XIV, durant la guerre des Cévennes. Lorsque M. de Bâville avait donné l’ordre de brûler quelque village, il disait au roi que les habitans s’étaient empressés de se convertir ; on lisait de fausses dépêches, et le pays était livré à d’effroyables ravages, que le roi croyait encore le traiter avec douceur.

Tout ce qui se rattache à la littérature, à la philosophie, au théâtre, aux écrivains, n’occupe dans le Journal qu’une place très restreinte, et certes, si la littérature avait exercé dans la première moitié du XVIIIe siècle la prépondérance qu’on lui attribue généralement, si les gens de lettres avaient été, comme