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garantir le remboursement et à rassurer la confiance. Pour consolider sa banque, Law, après avoir inventé son système, en inventa la garantie. Il hypothéqua ses billets sur les richesses qui devaient, disait-il, revenir de la Louisiane, désignée vulgairement alors sous le nom de Mississipi. C’était, moins l’or, la Californie du XVIIIe siècle ; l’engouement, on le sait, devint général. La bourgeoisie parisienne, toujours facile à duper quand on fait briller à ses yeux le mirage de bénéfices fantastiques, se jeta avec une sorte de fureur sur les actions de la banque de Law. Les femmes vendirent leurs diamans, les hommes leur argenterie, les propriétaires leurs domaines, pour se procurer de ce papier qui représentait à leurs yeux les trésors du Nouveau-Monde. On accourut de tous les points de la France pour prendre part à cette immense curée, et, en peu de temps, la population de la capitale fut augmentée de deux cent mille personnes. Une somme de 1,700 millions en actions ou en billets fut ainsi lancée dans la circulation ; tout le monde se crut riche, chacun dépensa sans compter, et « le marchand, qui est naturellement fripon, dit Barbier, vendit deux tiers plus cher. Une paire de bas de soie valut 40 livres, la bougie 9 livres, le café 18 livres. » On annonçait chaque jour la découverte de nouvelles mines d’or dans le Mississipi, mais l’or n’arrivait jamais, et, quoique le régent eût divisé sur la carte cet immense territoire en une foule de duchés et de marquisats qu’il avait distribués à tous les personnages considérables par leurs places ou leurs richesses, personne ne voulait partir. Il y eut alors une nouvelle phase dans cette immense mystification, qui devait se terminer par la ruine du crédit de l’état et la misère de tant de familles. De même que l’on avait donné le Mississipi pour garantie aux actions de la banque, de même on s’occupa de chercher des colons pour garantie de la colonie, et, comme on n’en trouvait pas, on en fit : — d’abord avec les voleurs et les filles perdues qui se trouvaient dans les prisons, puis avec les vagabonds et les mendians qu’on ramassait dans les rues, enfin avec tous ceux, artisans et bourgeois, sur lesquels on pouvait mettre la main. Barbier parle d’un grand personnage actionnaire de la banque, qui profita de l’autorité que lui donnait une haute position pour signer l’ordre aux archers d’enlever des colons dans Paris au prix de 40 livres par chaque homme et par chaque femme, et de 20 livres par chaque enfant. Peu à peu cependant l’illusion se dissipa : on ne croyait plus aux mines d’or ; on commençait à ne plus croire à la colonisation. Les billets subissaient une dépréciation de jour en jour plus grande, et l’on montra, pour se procurer de l’argent monnayé, la même fureur qu’on avait montrée pour se procurer des billets ou des actions. Dès la première création de la banque de Law, un grand nombre de personnes avaient été étouffées dans la foule qui se pressait à sa porte ; quand le système eut perdu tout crédit, on se fit étouffer de nouveau pour avoir de l’argent, et dans une seule journée il y eut seize victimes devant la banque. On a pu voir, dans la plupart des historiens qui de nos jours se sont occupés du système de Law, que c’est de là que date en France la véritable organisation du crédit, que ce système a ouvert pour la richesse nationale des sources nouvelles, et qu’il en est résulté de grands avantages. Cette opinion, soutenue d’ailleurs avec habileté, nous paraît complètement fausse. Law n’est, en réalité, qu’un utopiste en fait de finances ; loin de constituer le crédit, il a inauguré théoriquement la banqueroute ; il a substitué à la notion de la fortune par le travail la