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Le mépris de la loi et de l’autorité était, pour ainsi dire, passé dans les mœurs ; les mousquetaires, les jeunes gens de bonne famille s’amusaient à battre le guet. Les fêtes publiques, les bals de la cour et de l’Hôtel-de-Ville n’étaient plus qu’une cohue, où les assistans oubliaient jusqu’aux plus simples notions de la bienséance ; on arrachait les coiffures des femmes, on jetait des perruques sur les lustres pour les éteindre. En 1745, dans une fête donnée à l’Hôtel-de-Ville, il y eut une foule de personnes blessées, au milieu des luttes qui s’engagèrent autour des buffets, et « dans la huitaine, dit Barbier, on ne parlait que de gens, seigneurs et bourgeois, qui étaient morts de fatigue et de chaleur. » Les cérémonies les plus tristes, les plus solennelles elles-mêmes n’étaient plus respectées, et quand Mme Henriette, fille aînée de Louis XV, morte dans la fleur de sa jeunesse, fut conduite aux caveaux de Saint-Denis, les soldats de la maison du roi qui faisaient cortége à ses restes s’amusèrent, pendant toute la marche du convoi, à lancer dans la foule les torches funèbres qu’ils portaient à la main, et à brûler les perruques des assistans. Louis XV aimait tendrement sa fille, et cependant il laissa impunies ces profanations odieuses, qui outrageaient à la fois la dignité de son sang et sa douleur de père. Les hommes qui, sur la fin du siècle, violaient les tombeaux de Saint-Denis avaient pu voir, dans leur enfance, cette violation des funérailles, et quand on remarque avec quelle logique les faits s’enchaînent dans la vie des nations, comme dans celle des individus, on se demande si ce peuple, qui devait, quarante ans plus tard, jeter au vent la poussière de ses rois, n’avait point appris déjà, au convoi de Mme Henriette, à mépriser la sainteté de la mort.

On a beau chercher dans le Journal de Barbier quelques faits qui consolent et qui reposent : depuis la première page du livre jusqu’à la dernière, on marche ainsi à travers le scandale et la honte. Au lieu de gouverner, le roi chasse, soupe et passe d’une intrigue à une intrigue nouvelle. Le parlement, également impuissant à faire le bien et à empêcher le mal, s’épuise dans une opposition étroite et mesquine. Les courtisans s’agitent, les finances s’obèrent, et, au lieu de remédier au désordre, on fait des projets impossibles, et on prépare la ruine de l’état par un agiotage effréné. Tout en se bornant à enregistrer des faits sans les juger la plupart du temps, Barbier jette des lumières nouvelles sur l’histoire du système de Law et notamment sur les misères qui en furent la suite. Law, qui était cependant un habile financier et un homme d’esprit, à force de raisonner, comme certaines écoles socialistes, sur la richesse et le capital, arriva rapidement aux dernières limites de l’absurde, et, comme les alchimistes du moyen-âge, il se ruina en voulant faire de l’or. Son système, qui devait transformer la France en une mine inépuisable et que l’on a eu le tort de traiter comme une chose sérieuse, reposait sur ces trois principes, à savoir 1° que toutes les matières propres au monnayage peuvent être transformées en espèces ; 2° que l’abondance des espèces est le principe du travail ; 3° que le papier est plus propre que les métaux à devenir espèce. Cette théorie trouva des partisans, d’abord parmi les gens qui n’avaient rien à perdre, ensuite parmi ceux qui voulaient, sans peine et sans travail, doubler leur fortune ; mais, si grande qu’eût été la crédulité publique, on ne tarda point à se souvenir d’une chose que Law avait méconnue, à savoir que le crédit doit toujours avoir des bases certaines, c’est-à-dire s’appuyer sur un capital ou des valeurs propres à