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signée : Tout le régiment, dans laquelle ils disaient qu’ils se connaissaient en bravoure, qu’ils étaient contens de leur colonel, et que tout le monde devait l’être comme eux.

C’était surtout dans les rangs inférieurs que se perpétuaient les traditions du grand règne. À la bataille de Parme, gagnée par le maréchal de Coigny, Picardie, voulant soutenir son nom de premier régiment de France, réclama l’honneur d’être placé en tête de l’attaque. Il fit merveilles, et, lorsqu’on voulut le relever, il répondit qu’on ne relevait jamais Picardie. « Il s’est battu, dit Barbier, pendant dix heures sans arrêter, et des trois bataillons il n’est pas resté trois cents hommes. » Les soldats donnèrent souvent de beaux exemples de dévouement et de patriotisme. À la bataille de Laufeld, un carabinier nommé Aude fit prisonnier le général Ligonnier, commandant en chef des troupes anglaises. Celui-ci, pour être libre, offrit au soldat qui l’avait pris sa bourse et des diamans valant au moins dix ou douze mille livres ; mais cette offre fut généreusement refusée. Les officiers de fortune, les bourgeois, les paysans, qui s’élevaient par leur simple bravoure au grade de capitaine, remplissaient leur devoir avec une grande exactitude ; cela était d’autant plus méritoire, que le gouvernement se montrait presque toujours ingrat à leur égard. Quand la paix était faite, on les renvoyait avec un mois de solde, et, comme cette somme ne suffisait pas toujours à payer le retour dans leurs familles, ils étaient forcés tantôt de servir comme cochers ou comme piqueurs dans les villes où ils avaient été licenciés, tantôt de demander l’aumône en route, ou de s’engager de nouveau comme simples soldats, et alors ceux qui avaient gagné la croix de Saint-Louis étaient obligés de renoncer à leur décoration, attendu qu’elle ne pouvait être portée que par des officiers. Quelques-uns des abus que nous venons de signaler furent réformés par le maréchal de Saxe ; mais le mal était tellement enraciné, qu’il persista jusqu’à la révolution, et l’on en retrouve des traces dans les premières armées de la république.

La police et l’administration municipale de Paris, si fortement organisées par Colbert, avaient subi, comme les institutions de l’armée, une notable décadence. Les lieutenans-généraux de police, le parlement, rendaient sans cesse des ordonnances nouvelles, mais on ne les exécutait pas, et les conflits qui éclataient entre les diverses juridictions ne faisaient qu’enhardir le désordre. La population, si long-temps paisible, devenait de jour en jour plus turbulente. Vers 1720, on voit poindre ces premiers instincts de violence, qui éclateront plus tard en émeutes, pour aboutir, à la fin du siècle, aux sanglantes saturnales de 93. C’est le faubourg Saint-Antoine qui donne le signal. En 1725, un boulanger de ce faubourg veut augmenter le prix du pain. Le peuple aussitôt s’amasse en criant, pille tous les boulangers, jette les farines dans les ruisseaux, et enlève les meubles et l’argent. Les ouvriers se mettent en grève ; ils fixent un maximum pour les journées et la main-d’œuvre, assomment ceux qui travaillent à moindre prix, et font une haute paie à ceux qui ne travaillent pas. Quand des juges rendent un arrêt qui ne convient pas à la foule, elle brise leurs mitres, et pénètre de vive force dans les maisons : la police, souvent impuissante à réprimer, cède et transige avec l’émeute. En 1750, un commissaire, pour apaiser le peuple, lui promet un de ses agens : ce malheureux est en effet livré. La populace l’assomme, et traîne son cadavre dans les ruisseaux.