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des océans. Ce matin, il fait beau en nous, nos pensées jouent à la surface de notre cœur dans la tiède lumière d’un calme soleil ; ce soir, tout notre être n’est plus qu’une région d’orages et de ténèbres. D’où viennent l’ombre qui nous envahit et les souffles qui nous bouleversent ? Je ne l’ai jamais su. Un jour donc, je fus jaloux de la Cornélia. L’idée me vint, en la pressant sur mon cœur, que je ne tenais pas précisément entre mes bras une créature virginale. J’avais oublié pendant quelques jours tout ce que j’avais appris par moi-même et tout ce qu’André Mévil m’avait dit. Cette funeste connaissance de celle que j’aimais entra cruellement dans mon esprit. Combien de fois, pensai-je, a-t-elle joué le drame qu’elle joue avec moi ! et me voici tout à coup possédé du plus ténébreux chagrin. La bonne Cornélia ressentait toujours contre les jalousies qu’elle inspirait une fort naturelle irritation : elle trouvait souverainement injuste et sotte cette manie qu’ont presque tous les hommes cependant d’exiger, au bout d’un certain temps, chez les femmes dont ils sont devenus les maîtres, une pureté qu’ils étaient ravis de ne pas rencontrer en elles aux premières heures de leurs liaisons. Puis elle était désolée qu’on ne préférât pas à la candeur de la plus chaste des jeunes filles cette ingénuité de son invention qu’admiraient tant les Sardonio et les Mazzetto. Ce second sentiment était moins raisonnable que le premier. Je le dis franchement toutefois, dans les premières querelles qui amenèrent notre séparation, tous les torts furent de mon côté ; mais je ne gardai pas longtemps mon rôle de bourreau : je pris bientôt celui de victime, et je.puis dire que mes supplices furent variés ingénieusement.

Un soir, je trouvai à côté de ma maîtresse un personnage d’un aspect distingué, dont le pâle visage était encadré par de longs cheveux et terminé par une longue barbe : c’était le marquis Guillaume d’Hermancey. M. d’Hermancey était assurément le plus honnête homme auquel la Tulipani eût jamais confié, avant moi, la tâche délicate de donner un but intime à sa vie. Il appartenait à un parti pour lequel j’ai toujours professé du respect et senti de l’attrait. Seulement il avait altéré un peu, par les billevesées de notre temps, l’antique et généreuse croyance dont sa politique aurait dû se composer uniquement. (C’était un de ces légitimistes qui finissent par se faire un indéchiffrable blason, en voulant écarteler la sainte ampoule avec l’urne du suffrage universel, le droit divin avec le droit populaire. Ceci soit dit, du reste, en passant et parce que le nom d’Hermancey est venu forcément dans mon récit, car j’ai fort peu connu le marquis, et je n’ai eu rien à démêler avec sa vie publique.

Hermancey était le père d’un de ces enfans qui avaient excité chez la Tulipani des sentimens de matrone. Il venait voir son fils Ascanio, long et mince garçon d’une douzaine d’années, qui était sans cesse en querelle avec son frère, le petit Jocrini. Le pauvre gentilhomme, quand