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en foule sur son tombeau. Les jansénistes, dont il avait jusqu’au dernier soupir partagé les convictions, s’y rendirent également pour honorer l’homme charitable, le chrétien austère, qui avait répandu sur leur secte l’éclat de ses vertus. On se contenta d’abord de psalmodier et de prier ; mais bientôt les phénomènes les plus étranges se manifestèrent. La plupart de ceux qui se rendaient en visite au tombeau du diacre se couchaient du côté droit sur ce tombeau, et aussitôt ils étaient saisis de violentes crises nerveuses, que les gens sincères prirent pour un état extatique, et que les gens habiles exploitèrent dans l’intérêt du parti. Ce fut alors, on le sait, que s’organisa, sous le nom de convulsionnaires, une secte qui eut ses chefs, sa hiérarchie, ses règlemens, et surtout ses thaumaturges. En effet, c’était chaque jour quelque nouveau miracle. Pour rendre hommage à Dieu, les convulsionnaires se soumettaient aux plus cruelles tortures. Ces tortures, qu’on désignait sous le nom de grands secours et de secours meurtriers, étaient ordinairement appliquées à des jeunes filles par des hommes jeunes, et qu’on appelait secouristes. Ces filles, dit Barbier, se couchaient par terre ; trois ou quatre personnes leur montaient sur l’estomac, leur mettaient les pieds sur la gorge, ou les étranglaient à moitié, et elles prétendaient que cela les soulageait. Les écrits les plus étranges se propagèrent dans Paris ; un livre intitulé : La Vérité des miracles opérés par l’intercession de M. de Pâris, devint le mémorial officiel des convulsions, et c’est là surtout que se révèle l’étendue de cette folie, qui, née dans le plus incrédule de tous les siècles de notre histoire, dépasse en merveilleux les légendes des époques les plus barbares. L’auteur de ce journal, M. de Montgeron, rapporte qu’une fille, nommée Gabrielle, plaçait sur sa poitrine la pointe d’une épée, en engageant celui des assistans qui lui paraissait le plus vigoureux à enfoncer cette épée dans ses chairs. Lorsque l’arme se courbait sous l’effort, elle la redressait pour empêcher qu’elle ne cassât, et la faisait ensuite appliquer à son cou avec la même violence en criant : Plus fort, plus fort ! Du 4 juillet 1743 jusqu’à l’Ascension de l’année 1744, dit encore M. de Montgeron, la sœur Dina a reçu le secours des épées presque toutes les semaines ; « il y eut à la fin jusqu’à dix-huit épées qui la pointaient à la fois… On a ainsi rompu sur d’autres filles des broches et des couteaux. » Dans le secours du feu, les convulsionnaires s’étendaient devant un brasier ardent, à cinq ou six pouces de distance, et elles y restaient, sans éprouver le moindre inconvénient, beaucoup plus de temps qu’il n’en faut d’ordinaire pour rôtir la viande. D’autres faisaient cuire des pommes et durcir des oeufs en les pendant à leur cou. Dans le secours de la planche, on clouait le patient par les pieds et par les mains ; dans le secours du caillou, on laissait tomber sur sa poitrine des pierres qui ne pesaient jamais moins de vingt livres. « Un de mes amis, raconte M. de Montgeron, a vu une fille à laquelle on enfonçait deux grosses clés de grande porte dans l’estomac. Toutes les fausses côtes se repliaient sous cet effort : les clés aplatissaient tellement le diaphragme, qu’elles le collaient contre l’épine du dos, et elles restaient comme cachées dans le corps ; mais, loin qu’un si effroyable secours fît endurer la moindre souffrance à la convulsionnaire, elle le recevait avec un contentement inexprimable. C’était son remède le plus ordinaire pour faire cesser ses maux d’estomac. » Le livre où se trouvaient ces étranges récits, toujours appuyés de nombreux certificats, fut accueilli avec une avidité extrême.