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d’autant plus intéressante, que la curiosité jusqu’ici ne s’est généralement tournée que vers les origines du jansénisme. Son agonie a bien aussi quelque intérêt d’enseignement et mérite qu’on la décrive.

Exclusivement théologique et philosophique au début, le jansénisme, en s’étendant, finit par s’allier à la politique ; il recruta de nombreux disciples, d’un côté parmi les hommes restés fidèles aux dernières traditions de la fronde, de l’autre dans la partie de la bourgeoisie qui se rattachait à l’opposition parlementaire. Il s’insurgea contre Rome et l’église ; en prétendant, malgré l’église et Rome, rester dans l’orthodoxie ; il s’insurgea contre l’autorité royale en protestant de sa soumission au roi, et, pendant tout un demi-siècle, il agita le royaume pour des questions que les plus illustres docteurs eux-mêmes n’avaient jamais pu poser nettement. Il fut violent, mesquin, turbulent : il réveilla toute l’intolérance du calvinisme, et proclama le dogme désolant de la fatalité ; mais au milieu de ses contradictions, de ses faiblesses, de ses intrigues, il avait du moins cherché, dans la vie pratique, à resserrer les liens de la morale ; il avait séduit par son rigorisme sincère les hommes les plus vertueux et quelques-uns des plus beaux génies du grand siècle. Arnauld le défendait par son courage et sa dialectique obstinée, Pascal par son éloquence incomparable, et, quand l’Europe entière s’humiliait devant Louis XIV, Port-Royal seul osait tenir tête au grand roi. Il y avait donc au milieu de tout cela une incontestable grandeur ; mais, au XVIIIe siècle, Pascal et Arnauld ont disparu : toute la partie philosophique de la question a fait place à des arguties misérables. Les hommes les plus acharnés à la lutte, jansénistes ou molinistes, ne savaient plus pour quels principes, pour quelles idées ils combattaient. Aussi vit-on s’accomplir tout à coup dans l’esprit public et dans la conduite du gouvernement une réaction très vive. Autant Louis XIV s’était montré rigoureux à l’égard des jansénistes, tout en ignorant, comme ils l’ignoraient le plus souvent eux-mêmes, ce qu’ils étaient et ce qu’ils voulaient, autant le régent se montra disposé à l’indulgence. Deux jours après les funérailles du grand roi, il fit sortir de prison tous les jansénistes que le père Le Tellier y avait entassés Pour apaiser des querelles qui n’étaient point sans danger, il fit rédiger un corps de doctrines qu’on soumit à l’acceptation des deux partis, et de plus on promulgua un édit pour ordonner la soumission à la bulle Unigenites On se soumit d’abord, et une paix définitive était même sur le point de se conclure, quand tout à coup un évêque aussi vertueux qu’obstiné, Soanen, ralluma l’incendie par des mandemens où l’on crut retrouver la trace des doctrines que l’église et Louis XIV avaient proscrites.. Le conseil provincial d’Embrun condamna l’évêque Soanen, et le parti se reconstitua aussitôt en criant à la persécution. Les premiers solitaires de Port-Royal, pour attester la sainteté de leurs doctrines, avaient invoqué le miracle de la sainte épine ; les jansénistes du XVIIIe siècle invoquèrent à leur tour les miracles du cimetière Saint-Médard.

Le 1er mai 1727, le fils d’un conseiller au parlement, le diacre François Pâris, mourut dans le faubourg Saint-Marceau. Riche de 10,000livres de rente qu’il distribuait aux pauvres, le diacre Pâris avait passé sa vie entière dans la pratique des plus rudes austérités. Il couchait sans draps, ne mangeait que des légumes, et s’était rendu respectable aux molinistes eux-mêmes par sa bienfaisance et ses vertus. Les pauvres, dont il avait soulagé la misère, se rendirent