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former en les réunissant le tableau des mœurs publiques de Paris au XVIIIe siècle, on trouve dans le Journal de Barbier des renseignemens toujours précieux par leur précision sur la physionomie particulière des diverses classes de la société, et ici encore, en face des témoignages contemporains, on reconnaît vite que l’histoire, telle qu’on la répète dans une foule de livres, est sujette à bien des rectifications. Le clergé surtout, à l’époque qui nous occupe, a été étrangement calomnié, et il semble que l’église tout entière se soit résumée dans la personne du cardinal Dubois. Cette fois encore cependant, le vice est l’exception, et le vice, il faut le reconnaître quoi qu’on en ait dit, ne se trouve d’une part que chez les hauts dignitaires qui n’entraient guère dans les ordres que pour jouir des gros bénéfices que le gouvernement avait le tort grave de ne conférer qu’à la naissance et à l’intrigue, et, de l’autre, chez les clercs tonsurés qui, sous le nom d’abbés, ne servaient, comme le dit Mercier, ni l’église ni l’état, vivaient en valets dans les maisons des riches, commandaient la livrée, et remplissaient en général les fonctions d’intendans. À côté des bénéficiers et des abbés, il y avait les évêques des provinces, les prêtres des petites villes et des campagnes, — Massillon, Belzunce, l’abbé Fleury, à côté de Dubois et de l’abbé de Tencin. Les jansénistes de la haute bourgeoisie s’entêtaient dans leur austérité, avec la même obstination que dans leur résistance à la bulle Unigenitus. Les cloîtres de l’ordre de saint Benoît étaient encore l’asile inviolable de l’étude, et les jésuites, à la Chine comme dans le Nouveau-Monde, donnaient toujours de glorieux martyrs à la foi. Barbier, qui ne tait jamais le scandale, de quelque part qu’il vienne, n’eût certes pas épargné le clergé, s’il avait trouvé de ce côté des sujets d’anecdotes ; mais il ne s’attaque dans son Journal qu’à quelques-uns de ces abbés apocryphes, que Mercier appelle de petits housards sans rabat ni calotte, et à quelques grands bénéficiers, tels que l’abbé de Clermont, qui n’était que tonsuré, quoique possédant les abbayes de Clermont, du Bec, de Saint-Claude, de Marmoutier, de Chaalis et de Cercamp, et qui avait trouvé le moyen avec 200,000 livres de rente de faire 20 millions de dettes, qu’il ne paya jamais. En jugeant l’église française au XVIIIe siècle, les historiens n’ont jamais fait la distinction des bénéficiers, des clercs tonsurés et des prêtres ; ils se sont de plus uniquement occupés de Paris : ils ont jugé le corps entier d’après quelques hommes, et cependant, si l’on veut tenir compte de tous les faits généraux et rétablir la balance du mal et du bien, on ne tarde point à reconnaître que la société religieuse l’emportait encore et de beaucoup sur la société civile, que l’antique discipline, la vieille foi, se maintenaient dans les provinces, que les exemples donnés par quelques grands dignitaires étaient rarement suivis dans les rangs inférieurs, et qu’en somme le clergé, au point de vue moral, était encore très respecté, parce qu’il méritait de l’être. Sourdement attaquée par les jansénistes, compromise par les désordres de quelques-uns de ses enfans, insultée dans ses dogmes, dans son histoire, dans ses lois, par des ennemis implacables, l’église française, au milieu de la dissolution générale, n’en était pas moins dans l’état le seul grand corps qui gardât une vitalité puissante, le respect de son passé, la foi dans son avenir, et qui, à cette date, dans la querelle du jansénisme, défendît la vérité et le bon sens. Les faits viennent à l’appui de cette assertion. Sur ce sujet, Barbier lui-même ne tarit pas, et cette partie de son Journal est