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Enfin, voyant qu’il ne voulait pas mourir, et que le service était long, M. le lieutenant-criminel a demandé à MM. de la Tournelle de le faire étrangler, ce qui a été fait ce matin même, de neuf à dix heures, sans quoi il y serait peut-être encore. »

Les exécutions avaient ordinairement lieu vers le soir à la clarté des flambeaux. Les confréries des métiers, les moines des ordres mendians s’y rendaient en grande pompe, et soit que l’on pendît les condamnés, soit qu’on leur tranchât la tête ou qu’on les rompit vifs, les assistans, au moment où le bourreau allait faire son office, entonnaient le Salve Regina. Quand le supplice avait lieu par la décollation, l’exécuteur montrait au peuple la tête sanglante, et, lorsque le coup mortel avait été adroitement porté, ce peuple battait des mains pour témoigner sa satisfaction. La plupart des voleurs et des assassins affichaient jusqu’au moment suprême un cynisme révoltant et se montraient presque toujours insensibles au repentir : le célèbre Cartouche badinait sans cesse dans sa prison, et son esprit le faisait plaindre. Nivet, autre voleur non moins redoutable, passait tout son temps à jouer au volant, d’autres faisaient des chansons. Lorsqu’on amenait les condamnés pour les exécuter sur la place de Grève, ils demandaient tous à monter à l’Hôtel-de-Ville, sous prétexte de faire des révélations : ils trouvaient ainsi le secret de vivre vingt-quatre heures de plus, et de bien boire et de bien manger, malgré le parlement.

Quand le poète Gilbert, dans son immortelle satire, s’indigne avec tant de verve et de colère contre ces femmes auxquelles un papillon souffrant fait verser des larmes, et qui vont acheter le plaisir de voir tomber la tête du comte de Lalli, il ne fait que traduire en beaux vers un fait qui de son temps se renouvelait sans cesse, On eût dit que la haute société du XVIIIe siècle, blasée sur la plupart des sentimens simples et vrais, était attirée par un besoin fatal d’émotions violentes. À propos de toutes les exécutions un peu notables par la réputation de scélératesse des condamnés, Barbier remarque que les fenêtres de la Grève se sont louées fort cher, qu’il y a eu beaucoup de carrosses, etc. Au milieu de ces détails cruels, il ne s’étonne qu’une seule fois, c’est au moment du procès de Cartouche, et voici à quelle occasion : le comédien Legrand avait composé une pièce de théâtre dont ce brigand fameux était le héros ; il en confia le principal rôle à l’acteur Quinault, et, peu de temps avant la première représentation, Quinault et Legrand se rendaient chaque jour au Châtelet pour répéter la pièce et le rôle ; les magistrats faisaient venir alors Cartouche et ses complices ; l’auteur et l’acteur les étudiaient, s’éclairaient de leurs avis. La pièce fut jouée le jour même où le brigand fut rompu vif : on vendit à la fois dans les rues l’arrêt de mort et la comédie, Barbier acheta l’un et l’autre pour servir, dit-il, de pièces justificatives aux sottises de ses contemporains. Ainsi le peuple de Paris se démoralisait par le spectacle des théâtres et le spectacle des supplices ; les solennelles expiations de la justice humaine étaient devenues pour lui une simple affaire de distraction ; il allait voir mourir Cartouche sur la roue après l’avoir applaudi sur la scène, et plus tard, quand la terreur eut besoin d’assassins, elle les chercha là où elle savait les trouver, dans cette foule à la fois raffinée et sauvage qui se pressait autour des échafauds de la Grève, et devant les tréteaux des baladins.

À côté d’une foule de détails du genre de ceux qu’on vient de lire, et qui peuvent