Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/1109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marquer par la comparaison avec le règne de Louis XIV ce que l’on pourrait appeler les progrès de la décadence. Sous Louis XIV, en effet, on jouait avec fureur, et comme exemple il suffit de citer Mme de Montespan, qui, dans une seule soirée, perdit 4 millions à la bossette ; mais du moins on jouait avec honneur : c’était une sorte de défi qu’on jetait à la fortune. Sous la régence, le jeu n’est plus qu’une basse spéculation dont les produits servent à défrayer le désordre. Des grands seigneurs, des princes, des ducs ne rougissent pas d’ouvrir des maisons de jeu et de s’attribuer comme maîtres de brelan une part dans les profits. Les bals masqués, qui commencèrent en 1716 à l’Opéra, ne tardèrent point à rappeler les orgies romaines dans leur licence effrénée, et le vice se produisit avec une effronterie nouvelle à la faveur de l’incognito. Une foule d’intrigues se liaient sous le masque et se dénouaient, toujours sous le masque, dans la salle même, à l’abri des grilles dont on avait garni les loges du cintre. Le régent faisait ses délices de ces cohues bruyantes, où la danse n’était qu’un prétexte pour la débauche et l’ivresse ; Louis XV, comme le régent, y compromit plus d’une fois sa dignité royale. Ici encore, on le voit, nous sommes loin de Louis XIV, dont les ballets n’étaient, après tout, que des fêtes magnifiques et décentes, embellies par la musique de Lulli et les vers de Molière et de Quinault.

Pour quiconque est curieux de ce que Rabelais eût appelé des aventures de haulte graisse, le Journal de Barbier est une mine féconde et attrayante ; mais ici nous ne le suivrons qu’à distance, et si même nous sommes forcé de le laisser en chemin, quelques traits, pris au hasard parmi ceux qui peuvent être cités, suffiront, nous le pensons, à faire apprécier et ses mémoires et son époque. Il raconte les faits les plus scandaleux sans s’étonner, sans blâmer et en les donnant presque toujours comme des aventures fort gaies dont le public s’est beaucoup diverti. S’agit-il des intrigues d’un courtisan marié, il se borne à cette simple remarque : « De vingt seigneurs de la cour, il y en a quinze qui ne vivent point avec leurs femmes. Rien n’est plus commun, même entre particuliers. » S’agit-il des infidélités du prince de Conti ; après avoir dit qu’il est éperdûment épris et follement jaloux de sa femme, Barbier ajoute : « Cependant il a des maîtresses ; c’est la règle. » En 1724, on noue autour de Louis XV, tout candide encore, une honteuse intrigue qui devait se terminer par ce voyage de Chantilly qui donna lieu à tant de couplets. Barbier, pour exposer le commencement de cette triste affaire, ne trouve que ces simples mots : « Pour rendre le roi plus traitable et plus poli, on comptait beaucoup sur la duchesse d’Épernon. Mme de La Vrillière était chargée de cette diplomatie ; mais, comme elle était femme d’expérience, on pensait qu’elle prendrait le roi pour elle-même. » Jamais le moindre blâme ne trahit le moindre sentiment moral. Quand on attaque Mme de Pompadour, Barbier se fâche. « Cela est bien imprudent, bien insolent, dit-il ; il suffit que le roi soit attaché à une femme, quelle qu’elle soit, pour qu’elle devienne respectable à ses sujets. » En 1739, ce roi, qui venait d’entamer une liaison avec Mme de Mailly, ne remplit point à Pâques ses devoirs religieux, comme il avait coutume de le faire. On jugea dans le public que le monarque n’avait point eu l’absolution de son confesseur, et cela fit grand bruit. Barbier, cette fois, se fâche contre le confesseur. « Nous sommes assez bien avec le pape, dit-il, pour que le fils aîné de l’église eût une dispense pour