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siècle, était poussée jusqu’à l’idolâtrie. Les femmes alors, dans leur intérieur, ne portaient ni souliers ni bas ; on se fardait le pied absolument comme chez nous le visage. Aujourd’hui, pour peu que la nature ait étourdiment donné à cette extrémité chérie une longueur un peu exagérée, une femme n’hésite pas à sacrifier la forme à la dimension et se torture dans un soulier trop court, à la manière des Chinoises.

On a souvent mis en doute les sympathies des créoles pour les Européens et particulièrement pour les Français. Il serait possible qu’à une autre époque, s’inspirant de traditions espagnoles peu favorables à ces derniers surtout, et plus souvent encore humiliés par le faste outrageant de certains parvenus, dont la fierté et l’insolence ne réussissaient point à faire oublier une basse extraction, les Péruviens aient quelquefois épanché avec amertume leur dégoût, et leur mépris. Aujourd’hui ces causes de mésintelligence se sont considérablement amorties. La multiplicité de nos relations avec le Pérou y a vulgarisé les idées françaises, et l’on n’y voit plus guère s’élever ces fortunes scandaleuses si communes à une autre époque. Les rares commerçans étrangers qui s’enrichissent doivent leur succès à un travail consciencieux et opiniâtre. Ce ne sont plus ces industriels sans aveu, exploitant une population, confiante, raillant leurs dupes et se glorifiant avec cynisme de leurs méfaits. Si la race n’en est pas encore complètement éteinte, elle devient au moins de jour en jour plus rare ou plus pudibonde ; le bon sens des Péruviens d’ailleurs en fait justice et n’enveloppe pas la masse des immigrans dans sa réprobation. — Nous devons dire pourtant qu’il existe parfois entre les actes et les paroles des Liméniens certaines contradictions qui sembleraient justifier le reproche de manque de sincérité dont on les soupçonne ; mais cette nuance de leur caractère, fort spirituellement indiquée par un écrivain de Lima, tient surtout à une puérile manie de nacionalismo (c’est l’expression dont il se sert) éclose depuis l’indépendance. — Il n’est pas rare de voir tel individu vivre en rapports fréquens et intimes avec des étrangers, affecter de se produire avec eux dans les cercles et dans les lieux publics, se parer à tout propos de ses nombreuses amitiés transatlantiques, et professer, suivant la disposition d’esprit ou l’intérêt du moment, un suprême dédain pour les objets de sa fréquentation et de sa sollicitude ordinaires. Les femmes surtout, qui, plus qu’ailleurs, recherchent l’intimité des étrangers, ne manquent pas, au moindre froissement, d’exhaler leur humeur d’une façon fort vive. Avec quelle joie maligne et railleuse ne s’écrient-elles pas alors en branlant la tête : Ay niña ! extrangeros yo, con que no puedo verlos ni pintados ! con que hasta me parecen animales ! (Ah ! ma fille, des étrangers, moi ! je ne puis les voir même en peinture ; c’est tout juste s’ils ne me semblent pas des animaux !) Nous le