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à la chevelure tressée en mille petites cordelettes à la façon des Sicambres ; les prêtres séculiers, portant la coiffure de don Bazile, qui semble une pirogue renversée ; les frères quêteurs des ordres mendians, la sébile à la main, saisissant toutes les occasions d’exploiter un peuple superstitieux ; les tapadas au pied de satin, qui sont partout où il y a des hommes ; puis de galans officiers, la casquette sur l’œil, la moustache retroussée, le poncho blanc à longues franges sur l’épaule, l’éperon sonore au talon, qui, s’ils avaient, le Pérou en poche, n’auraient assurément pas l’air plus vainqueur. — Tout cela rit, babille, dispute et jure ; les nègres surtout gesticulent et vocifèrent avec une telle véhémence, que leur voix couvre celle des mercachiffles (colporteurs) et des crieurs de suerte. Des cholitas à cheval dominent la foule, où elles se fraient difficilement un passage ; puis, sur divers points, on voit au-dessus des groupes se balancer élégante, douce et fine ; sur un cou de cygne, la charmante tête empanachée des llamas blancs ou bruns qui font tinter leur clochette.

Quand on est las de tout ce bruit, de tous ces spectacles de la rue, il y a quelque charme à se reposer au milieu d’une famille liménienne, à rechercher si la vie intime a gardé dans la capitale du Pérou quelques traces de cette couleur moresque imprimée aux monumens et aux costumes de Lima par les premières immigrations andalouses. Les traces de cette civilisation presque orientale des émigrans espagnols ne se sont guère conservées, il faut le dire, dans les mœurs péruviennes. La famille à Lima ne connaît point les susceptibilités farouches que la tradition prête aux Maures et aux Espagnols de l’Andalousie ; elle n’y est point mystérieuse : la femme y jouit d’une entière liberté, et si l’un des deux sexes courbe le front sous le joug conjugal, ce n’est assurément pas le plus faible et le plus timide.

La maison liménienne est en quelque sorte ouverte à tout venant ; rien de plus simple et de plus facile que l’introduction d’un étranger, le premier venu à peu près l’y présente sans autorisation préalable, et, à partir du moment où, selon l’énergique formule espagnole, « la case a été mise à sa disposition, » le visiteur à peine connu arrive de prime-saut à y avoir ses entrées aussi franches que le plus ancien ami de la maison. Qu’il s’y présente matin ou soir, la cordialité de l’accueil ne se dément jamais, et le sans-façon de ses hôtes, que sa présence ne semble jamais distraire de leurs habitudes et de leurs occupations accoutumées, l’engage vite à mesurer ses relations bien plus à l’intérêt et au charme qu’il y trouve qu’aux scrupules de nos convenances européennes. Cette grace hospitalière est tellement invétérée à Lima, que nombre de familles, en voie d’adopter les usages et les formes de nos civilisations française et britannique dans ce qu’elles