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qui sont d’une impertinence manifeste : un brigand, le poignard à la ceinture, la carabine au poing, s’apprête à détrousser les passans.

Les principales artères de la capitale, surtout celles qui, aboutissent aux marchés, sont, aux jours non fériés, le théâtre d’une activité qui tourne parfois : à l’encombrement. Les campagnards y conduisent des troupeaux de vigognes et d’alpacas aux longues soies brunes, portant du fourrage dans des réseaux : et des légumes ou des fruits dans des paniers de joncs tressés. — Des troupes de mules, fuyant à fond de train sous le fouet des arrieros, les parcourent, renversant çà et là quelques piétons surpris et impuissans à se garer. Des aguaderos nègres circulent tout le jour par la ville, juchés, sur la maigre échine de leurs mules, dont le bât est disposé de façon à recevoir deux barils pleins d’eau qui se font contre-poids ; ils s’en vont le nez au vent, les jambes pendantes, le bâton ferré sur l’épaule, interpellant à haute voix les Indiens ou les gens de leur couleur, et : accompagnant leurs quolibets d’un bruit de clochette qui indique que l’eau est à vendre.

C’est toujours à la Plaza-Mayor qu’il faut revenir pourtant lorsqu’on veut prendre sur le fait toutes les étrangetés de la vie liménienne. L’un des marchés les plus curieux de Lima se tient sur cette place. On y vend à peu près de tout, mais, entre autres choses, des fruits, des fleurs et des légumes. Les marchands sont assis sous des châssis de roseaux, formant avec la terre un angle ouvert à volonté par un bâton fourchu et sous des nattes de joncs tressés que des montans soutiennent comme un dais. On voit aussi se dresser capricieusement de vastes parasols de paille de maïs ou de toile de couleur ; traversés au centre par un long pieu fiché dans le sol, tous ces frêles abris baignent d’ombre violette les vendeurs et leurs étalages de différentes espèces de fruits, que la gueule des mannequins, renversés en cornes d’abondance, répand à torrent sur des tapis grossiers. Certaines femmes, accroupies et les bras cachés sous le châle de laine bleue ou rose dont elles se voilent le bas du visage, portent sur leur tête un vaste panier plat tout rempli d’herbes et de fleurs qui leur fait de loin une coiffure fantastique. Immobiles et impassibles sous ce fardeau durant de longues heures, elles semblent subir une mortification volontaire à l’instar des fakirs indous. Partout on aperçoit d’énormes jarres de terre rouge, des corbeilles vertes, des paniers de joncs de forme bizarre, remplis de légumes secs, de pimens et de coca, feuille merveilleuse que les Indiens mâchent avec une espèce de chaux, et qui fait oublier, dans les courses forcées la faim, la soif et la fatigue. Les végétaux des deux hémisphères abondent, et sont par conséquent à bas prix. Un personnel bizarre, bruyant, affairé, va, vient, marchande, achète aux divers étalages. — Ce sont les Indiens des cerros, figures fauves et hâlées, le madras noué sur l’oreille et recouvert d’un chapeau de paille en pain de sucre ; les sambas