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courtier venu le real, prix d’un numéro, pour le tirage du mois suivant.

La Plaza-Mayor est le rendez-vous des Liméniens oisifs. Veut-on surprendre quelques traces d’activité, c’est dans un petit nombre de rues voisines de cette place qu’il faut les chercher. Ici encore mille aspects pittoresques attendent le voyageur. L’architecture de ces maisons à un étage et à toit plat, bien qu’uniforme en apparence, est diversifiée, pour qui l’observe de près, par mille gracieux détails. Ici ce sont des miradores (belvédères) et des clochers qui se découpent sur le ciel ; là, des balcons en saillie qui projettent sur les murailles des ombres vigoureuses, et dont les angles, étagés par la perspective, ressemblent aux gradins d’un gigantesque escalier. Çà et là, les panneaux des balcons à demi soulevés laissent apercevoir quelque ravissante jeune fille, la rose ou l’œillet à la tempe. Il n’est pas jusqu’aux gallinasos qui, pareils à de grosses houppes noires, se tenant immobiles et par troupes sur le faîte des maisons, ne semblent destinés à en couronner la bizarre ordonnance. Le milieu des rues est occupé par des canaux d’eau courante, souvent assez larges, et qu’on passe sur de petits ponts en bois. La chaussée, pavée de petits galets, est bordée de trottoirs aux dalles brisées et disjointes. Si l’on s’éloigne des rues centrales, on ne rencontre plus même ces vestiges de pavage : on marche dans une poussière infecte mêlée d’immondices et de débris sans nom ; mais ce n’est point vers les extrémités de la ville que l’Européen doit diriger sa promenade : les rues des Mercadores et des Plateros, purifiées par des acequias, les portales de la Plaza-Mayor, pourront seuls lui révéler le mouvement journalier et les habitudes de cette séduisante cité. Là, les rez-de-chaussée, occupés par les montres vitrées des marchands de nouveautés et des orfèvres, attirent, comme dans nos capitales d’Europe, les chalands et les flâneurs. Les cigareros ont au coin des rues de petits ateliers où ils confectionnent avec une rapidité singulière d’excellens cigares à des prix modérés. Chaque carrefour a aussi sa pulperia, sorte de taverne assez mal famée, fréquentée surtout par les cholos, les sambos et les nègres. Les industries liméniennes paraissent dédaigner d’appeler l’attention par des enseignes. À part celles des barbiers, qui semblent avoir conservé le monopole de certaines opérations chirurgicales et qui exposent sur un panneau peint à l’huile une main armée du scalpel dans le voisinage d’un bras et d’une jambe d’où le sang jaillit à flots, on ne rencontre guère d’enseignes que sous les portales. Ce sont quelquefois de prétentieuses allégories : un troubadour de pendule arrache le voile d’une femme rouge couronnée de plumes et accroupie à ses pieds : c’est Colomb découvrant l’Amérique. — Une bande de rhinocéros met en fuite des éléphans (l’enseigne d’une boutique rivale et voisine représente une compagnie d’éléphans). — On en voit enfin