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nous gardâmes bien de prolonger une contemplation qui menaçait de devenir importune, et, laissant le jeune couple tout entier aux douceurs de son entretien, nous entrâmes au Castillo.

Tous les ouvrages situés au sud de la ville sont renfermés dans le Castillo. Les deux forts et les batteries dont nous avons déjà parlé le défendent du côté de la mer ; des épaulemens et des fossés profonds, avec escarpes et contrescarpes, font sa principale force du côté de la terre. Dans l’enceinte de la citadelle s’élèvent des casemates massives, les seules qu’on puisse construire avec les matériaux peu résistans du pays. Ces réduits, où peuvent s’abriter de nombreux défenseurs, servent actuellement de cachots, comme nous pûmes nous en convaincre en plongeant nos regards dans un soupirail demi-circulaire fermé par une épaisse grille de fer et destiné à éclairer une profonde galerie, voûtée, fétide et lugubre. Le long des murs humides et noirs régnait un cordon de bancs en bois sur lesquels on apercevait une douzaine de nattes, couche ordinaire des prisonniers. Quelques ustensiles grossiers et indispensables étaient épars sur le sol. Pour le moment, ce sépulcre était vide ; on avait dès le matin dirigé ses tristes hôtes vers différens travaux publics auxquels on les emploie. Au dehors tout était désordre vieux canons de fonte et de bronze, les uns rouges de rouille, les autres verts d’oxyde de cuivre, ancres brisées, roues à engrenages, futailles défoncées, gisaient à moitié ensevelis dans la poussière. Presque toutes ces constructions menaçaient ruine, et de nombreux étais soutenaient le ventre rebondi des murailles, dont la chute semblait imminente.

Quand nous quittâmes la citadelle, le soleil dorait la ville de ses rayons obliques et disparaissait derrière San-Lorenzo, dont la masse violette se détachait sur un horizon ardent comme un brasier. Les travailleurs du môle regagnaient leur demeure, et les habitans sortaient de l’atonie où les avait plongés la température de midi. Partout les stores bariolés des balcons remontaient en criant sur leurs rouleaux, et les femmes, assises au seuil des portes pour respirer la première fraîcheur de la soirée, surveillaient leurs marmots déguenillés, qui se vautraient dans la poussière sans effaroucher le moins d u monde des bandes de gallinasos occupés à déchiqueter les chiens morts. Notre promenade dans les rues, à cette heure où la ville respirait, nous permit d’apprécier du premier coup d’œil l’ensemble de la population de Callao, qui se compose de blancs, et plus particulièrement de cholos (Indiens) et de sambos[1]. Le croisement de ces trois races primitives a multiplié à l’infini les nuances de la peau, et l’œil exercé des habitans du pays peut seul démêler infailliblement le type originel des différens individus. Les cholos et les sambas se distinguent moins

  1. Les sambos sont le produit du croisement de la race indienne avec la race noire.