Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/1073

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heures auparavant, était pleine de mouvement et de bruit. Des milliers d’oiseaux remplissaient l’espace à toutes les hauteurs et à toutes les distances. On eût dit que toute la population ailée de l’Océan Pacifique s’était donné rendez-vous à Callao. Autour de nous se prélassait le lourd pélican, embarrassé de son bec difforme et démesuré, auquel une bande espiègle d’oiseaux plus petits venait arracher la pâture. L’obèse et stupide pingouin repliait tout honteux ses ailes trop courtes après avoir en vain tenté, de prendre son essor ; le damier étalait un éclatant plumage d’argent et d’ébène ; le pétrel à la voix stridente, la mouette blanche et légère comme une vapeur s’ébattaient joyeusement sur la houle et remplissaient l’air de piaillemens aigus qu’entrecoupaient çà et là des notes gutturales et nasillardes. C’était un vacarme à briser le tympan, un mouvement perpétuel à donner le vertige. Tout ce peuple turbulent et goulu était attiré sur la rade par le passage régulier d’une espèce de sardine dont les bancs nombreux hantent à certaines époques de l’année les côtes du Pérou, et fourmillent dans les eaux de Callao. Cependant le soleil, dont on apercevait depuis le matin le disque rouge et sans rayons à travers une épaisse couche de nuages, fondit cet obstacle et jeta inopinément sur l’eau sa lumière triomphale. Toute la gent emplumée s’émut, les vociférations redoublèrent, et des groupes nombreux s’envolèrent comme effarouchés ; quelques instans plus tard, la brise de terre venait écailler la surface des flots et dérober ainsi le poisson aux redoutables appétits de l’ennemi, dont les bandes déçues et confuses s’enfuirent et disparurent bientôt à l’horizon.

La baie de Callao réunit des qualités assez rares pour la côte occidentale de l’Amérique du Sud, où il n’existe guère que des rades foraines. Elle est vaste et sûre, les navires peuvent la parcourir sans appréhension, rester au mouillage en tout temps avec sécurité, exécuter en toutes saisons leurs travaux de radoub et de carénage. Elle est suffisamment abritée, dans le sud-est et le sud-ouest, par une langue de terre, quelques rochers et deux îles, notamment celle de San-Lorenzo. Son ouverture principale (car il existe une passe peu fréquentée au sud de la pointe de Callao) s’étend de l’ouest au nord-nord-ouest ; mais les vents qui soufflent de cette partie, ne se permettant jamais la moindre incartade, n’inspirent aucune défiance. L’île de San-Lorenzo forme le côté droit de cette entrée. San-Lorenzo est une terre aride, désolée, grise comme la cendre et rayée de ravins ; pas un arbre, pas un atome de verdure ne se hasarde sur ses flancs calcinés et grillés par un soleil torride ; à ce compte, jamais terre ne fut plus digne de porter le nom du martyr de Valérien. On y déposait jadis les nègres coupables de quelque méfait ; les seuls êtres qui la peuplent aujourd’hui sont les veaux marins dont on entend les troupes nombreuses bramer la nuit sur le versant occidental de l’îlot. Vue du