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du général Vivanco, feront pénétrer, nous l’espérons, dans la vie morale d’une des plus intelligentes et des plus aimables populations du Nouveau-Monde. Si, en nous suivant à travers les scènes et les incidens d’un long séjour à Lima, on arrivait à se former sans effort une idée juste des côtés faibles comme des côtés brillans de la civilisation péruvienne, ces souvenirs auraient atteint leur but, et un tel résultat suffirait à notre ambition.

Tout voyage, tout séjour en pays inconnu peut en quelque sorte se partager en trois périodes bien distinctes : la période de la surprise d’abord, celle de la curiosité ensuite, celle enfin de la réflexion et de la critique. Le moment de l’arrivée a ses joies et ses émotions fugitives qu’il faut noter au passage et qu’on ne retrouvera plus. Dans les jours plus calmes qui suivent l’installation, le voyageur subit peu à peu l’ascendant de la société qui l’entoure ; il ne se contente plus d’être spectateur de ses fêtes ou de ses travaux, il sent le besoin de s’y mêler, de s’y associer. Enfin, quand la vie journalière lui a révélé tous ses secrets, c’est la vie morale et intellectuelle qu’il veut connaître, et ainsi se complète peu à peu un ensemble de notions sans lequel on ne peut juger sainement ni les mœurs ni les intérêts d’une population étrangère. Ces trois momens qu’on retrouve dans tout voyage et que j’ai essayé de décrire marqueront les divisions mêmes de ce récit.


I. - CALLAO.

Nous étions entrés dans la rade de Callao par une nuit d’une sérénité magnifique. Le souffle presque insensible qui nous poussait vers le mouillage sembla expirer juste au moment où la frégate laissait tomber son ancre à deux encâblures de la côte. Devant nous, la ville piquée de points lumineux profilait sur un fond d’obscurité bleuâtre la ligne brisée de ses toits, et, sur un plan plus rapproché, un grand nombre de navires. dressaient vers le ciel la fine silhouette de leur mâture. Vers minuit, des bancs de brume apparurent comme par enchantement, puis ils se rapprochèrent et se joignirent en estompant le contour des terres voisines ; bientôt celles-ci s’effacèrent, et, notre horizon se rétrécissant peu à peu, la frégate demeura comme une noire chrysalide enveloppée d’une ouate épaisse. Une ligne phosphorescente se montrait seule à de brèves intermittences, accompagnée d’un fracas semblable à celui d’une fusillade : c’était le flot qui déferlait sur un talus dont les galets s’entrechoquaient, roulés par ses mouvemens d’ascension et de retraite.

Au lever du soleil, nous fûmes réveillés par un vacarme aussi étrange qu’étourdissant. Nous montâmes aussitôt sur le pont, où nous attendait un spectacle fort imprévu. La vaste baie, silencieuse et morne quelques