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Nous n’avons pu trouver la date précise de la naissance de cette aimable personne, ni même son nom de fille. Nous savons seulement qu’elle était beaucoup moins âgée que sa sœur et qu’elle avait bien d’autres attraits. Elle devait être à peu près du même âge que Mlle de Bourbon. Elle avait été élevée avec elle, et, quand elles parurent ensemble à la cour, elles jetèrent presque le même éclat. On ne possède d’elle aucun portrait, ni peint ni gravé, ni aucune description qui en puisse tenir lieu. Ses charmes étaient encore relevés par les graces de la modestie, et les vers que nous avons cités de Voiture la montrent toute jeune, dans l’innocence et la candeur d’une beauté qui s’ignore et qui fait naître l’amour sans l’éprouver elle-même.

Disons avant tout, pour justifier Condé et celle qui accueillit ses premiers hommages, que l’inclination du duc d’Enghien pour la jeune Du Vigean précéda son mariage avec Mlle de Brézé, nièce du cardinal, et remonte jusqu’en l’année 1640, où le jeune duc menait à Paris, à l’hôtel de Condé, à Chantilly et ailleurs, l’aimable vie que nous avons décrite, entouré de ses camarades de l’armée et parmi les charmantes et dangereuses compagnes de Mlle de Bourbon. C’est là qu’il rencontra Mme du Vigean et ses deux filles, et qu’il commença, dit Lenet, « à prendre pour Mlle du Vigean une estime et une amitié qui devint plus tard un amour fort passionné et fort tendre[1]. »

À la rigueur, le duc d’Enghien pouvait fort bien s’imaginer qu’il ne lui serait pas impossible d’obtenir de son père et du roi, c’est-à-dire du cardinal de Richelieu, leur consentement à un mariage très disproportionné sans doute, mais qui n’avait rien de dégradant. Mlle du Vigean était fort riche, sa famille était en crédit, Richelieu la favorisait, et il ne lui eût pas trop déplu de voir un prince du sang descendre un peu de son rang. Le mariage qui fut imposé à Condé quelque temps après n’était pas beaucoup plus relevé que celui-là. Un peu d’illusion était permis à l’âge et à l’impétuosité du jeune duc, et, une fois les affections engagées, elles ne cédèrent qu’au temps et à la nécessité.

Avec un pareil sentiment dans le cœur, on comprend combien le duc d’Enghien a dû souffrir du mariage auquel il fut condamné en 1641. C’est au chagrin de ce mariage qu’on attribua en partie la grande maladie qu’il fit alors. Bien que sa jeune femme, Maillé de Brézé, fût fort agréable, il ne vécut point avec elle, et forma dès-lors le dessein de la répudier dès qu’il le pourrait. Il protesta contre la violence qui lui avait été faite, et consigna cette protestation dans un acte notarié revêtu de toutes les formes légales et signé par lui, par le président de Vernon, surintendant de sa maison, et par Perrault, alors son secrétaire.

Nous avons raconté comment, malgré sa maladie, dès qu’il apprit que

  1. Mémoires de Lenet, édit. Michaud, p. 450.