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avait sans doute sous les yeux les devises qu’on avait faites pour elles et pour leur mère, et qui sont conservées dans les papiers de Conrart[1] : « Pour Mme du Vigean, qui avait perdu son fils aîné, un oranger ayant au pied sa plus haute branche coupée, chargée de fleurs et de fruits : Quis dolor ! » - « Pour Mlle de Fors, sa fille aînée, une rose entre plusieurs fleurs : Dat decor imperium. » - Pour Mlle du Vigean, sa seconde fille, une bougie allumée et des papillons autour Oblecto, sed uro. » Ajoutons ces deux devises, qui peignent si bien le caractère et déjà la réputation de celles qui en sont le sujet : « Pour Mlle de Rambouillet, une couronne avec cette inscription : Me quieren todos. » -- « Pour Mlle de Bourbon, une hermine : Intus candidior. »

Déjà, en 1635, dans le grand bal donné au Louvre par Louis XIII, où l’on eut tant de peine à faire aller Mlle de Bourbon, et qui fut l’écueil de sa ferveur religieuse, parmi les dames qui y dansèrent avec elle, on cite Mlle du Vigean. L’aînée, Anne Fors du Vigean, était jolie, douce, insinuante et, dit Mme de Motteville, ambitieuse autant qu’adulatrice[2]. On la maria à M. de Ponts, qui n’avait pas beaucoup de biens, mais qui prétendait être de l’illustre maison d’Albret. Restée veuve en 1648, maîtresse de la confiance de la duchesse d’Aiguillon, l’intime amie de sa mère, elle sut adroitement se faire aimer de son neveu, le jeune duc de Richelieu, et elle parvint à s’en faire épouser, malgré la duchesse et malgré la reine, grace à la protection de Condé et de Mme de Longueville. Cette protection, qui fit sa fortune, elle la devait à des souvenirs d’enfance, surtout au sentiment tendre et profond que Condé et sa sœur avaient eu de bonne heure et qu’ils gardèrent toute leur vie pour sa cadette, la jeune, belle, honnête et infortunée Mlle du Vigean.

  1. Bibliothèque de l’Arsenal, manuscrits de Conrart, in-4o, t. XI, p. 855. — Les devises étaient alors à la mode, comme plus tard Mademoiselle y mit les portraits, et Mme de Sablé les maximes et les pensées. Les devises n’avaient rien d’officiel, et en cela elles ressemblaient à ce que l’on appelle aujourd’hui des cachets de fantaisie, qu’il ne faut pas confondre avec les armes des familles. On faisait des devises et des emblèmes pour soi-même et pour les autres ; on les faisait peindre, et ce devenaient de véritables ouvrages d’art. Il y en a à l’Arsenal, Belles-Lettres françaises, 348, un recueil in-folio sur vélin de toute beauté. Il avait été fait pour Mme la duchesse de La Trémouille, dont on trouve le portrait parmi ceux de Mademoiselle. Chaque devise occupe une feuille entière. On y voit entre autres celles d’Anne d’Autriche, de Mme la Princesse, de Mme de Montpensier, de la princesse Marie, reine de Pologne, de la duchesse d’Épernon, Marie du Cambout, de sa belle-fille Anne-Christine de Foix La Valette d’Épernon, la carmélite dont nous avons rappelé la touchante histoire, de Marguerite, duchesse de Rohan, de la marquise de Rambouillet et de sa fille Mme de Montausier, d’Anne de Fors du Vigean, duchesse de Richelieu, de Gabrielle de Rochechouart, marquise de Thianges, sœur de Mme de Montespan, et de plusieurs autres femmes illustres du XVIIe siècle. Nous nous bornons à donner la devise de Mme de Longueville. Elle est bien différente de celle de Mlle de Bourbon : c’est une touffe de lis sur une nichée de serpens avec ces mots. Meo moriuntur odore.
  2. Mémoires, t. III, p. 293. Voyez aussi t. IV, p. 39.