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consentement, et après cela il fallut bien marier les deux fugitifs[1]. Il y a dans Voiture une pièce de vers un peu vive sur cet enlèvement[2], et Sarrazin fit une ballade pour célébrer la méthode des enlèvemens en amour[3]. On pouvait croire qu’un mariage si passionnément désiré des deux côtés ferait long-temps le bonheur de l’un et de l’autre. Il n’en fut rien. Coligny, devenu duc de Châtillon, songea beaucoup plus à la guerre qu’à sa femme : il se couvrit de gloire à Lens ; mais, comme nous l’avons dit, il périt dans un misérable combat, à Charenton, en 1649. Il faut aussi convenir qu’il s’était dérangé le premier, et en mourant il en demanda pardon à celle dont il avait surtout blessé l’orgueil[4]. La jeune et belle veuve se consola bientôt ; elle s’empara du cœur de Condé, vide depuis quelque temps, et s’appliqua à le garder sans donner le sien, ou même en le donnant à un autre, habile dans l’art de mener de front ses intérêts et ses plaisirs. Les mémoires du temps, et particulièrement ceux de La Rochefoucauld, nous la peignent ménageant à la fois et l’impérieux Condé dont elle tirait de grands avantages, et l’ombrageux Nemours qu’elle préférait, s’efforçant de les concilier et de les gagner l’un et l’autre à la cour, avec laquelle elle avait un traité secret. Un peu plus tard, elle se perd dans mille intrigues, se liant avec Fouquet, retenant sur Condé absent le pouvoir de ses charmes, l’essayant sur le jeune roi Louis XIV, épousant en 1664 le duc de Meklembourg dans l’espoir d’une couronne en Allemagne, et laissant après elle la réputation d’avoir été encore plus belle peut-être, mais presque aussi intéressée que la duchesse de Montbazon. Celle-ci possédait sans doute dans un degré supérieur les grandes parties de la beauté ; mais l’autre, moins imposante, était mille fois plus gracieuse. Elles ont été tour à tour les deux plus dangereuses rivales et les mortelles ennemies de Mme de Longueville.

Mais voici une personne toute différente, et dont le sort, comme le caractère, forme un parfait contraste avec celui de Mme de Châtillon ; bien belle aussi, mais moins éblouissante et plus touchante ; qui n’avait peut-être pas l’esprit et la finesse de sa séduisante amie d’enfance, mais qui n’en connut jamais les artifices et les intrigues ; qui brilla un moment pour s’éteindre vite, mais qui a laissé un souvenir vertueux et doux ; supérieure peut-être à Mme de La Vallière elle-même, car elle aussi elle a aimé, et elle a su résister à son cœur, et, sans avoir failli, trompée dans ses affections, elle a voulu finir sa vie comme la sœur Louise de la Miséricorde. Ne la plaignons pas trop : elle a goûté en ce monde un inexprimable bonheur ; elle a senti battre pour elle le cœur

  1. Voyez de longs détails à ce sujet dans Mme de Motteville, t. Ier, p. 292, etc.
  2. Oeuvres de Voiture, t. II, p. 174, épître à M. de Coligny.
  3. Œuvres de Sarrazin, in-4o ; Poésies, p. 74.
  4. Mme de Motteville, t. III, p. 133, etc.