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Ces dames s’attardaient-elles un peu trop à la campagne, quand Voiture n’y était pas avec elles, il les rappelait à Paris dans des complaintes burlesquement sentimentales[1].

Mais on ne passait pas tout l’été à Chantilly. Mme la Princesse possédait dans le voisinage plusieurs autres terres, Marlou, La Versine, Méru, l’Isle-Adam, lieux alors charmans, et où elle allait assez fréquemment. Il fallait bien aussi visiter M. le cardinal et Mme d’Aiguillon dans leur belle résidence d’été à Ruel, sur les bords de la Seine, entre Saint-Germain et Paris[2]. On trouvait là des plaisirs tout différens de ceux de Chantilly. L’art régnait à Ruel. Il y avait au théâtre comme à Paris, où le cardinal faisait représenter des pièces à machines avec des appareils nouveaux apportés d’Italie. Il donnait de grands ballets mythologiques comme ceux du Louvre et des têtes d’une magnificence presque royale, tandis qu’à Chantilly, bien plus éloigné de Paris, il y avait sans doute de la grandeur et de l’opulence, mais une grandeur pleine de calme et une opulence qui mettait surtout à son service les beautés de la nature. Ruel était tout aussi animé que le Palais-Cardinal. Richelieu y travaillait avec ses ministres ; il y recevait la cour, la France, l’Europe. Les affaires y étaient mêlées aux divertissemens. La duchesse d’Aiguillon était digne de son oncle, ambitieuse et prudente, dévouée à celui auquel elle devait tout, partageant ses soucis comme sa fortune et gouvernant admirablement sa maison. Elle était encore assez jeune, d’une beauté régulière, et on ne lui avait pas donné d’intrigue galante. La calomnie ou la médisance s’était portée sur ses relations avec Richelieu et même avec Mme du Vigean. Elle avait plus de sens que d’esprit, et elle n’était pas le moins du monde précieuse, quoiqu’elle fréquentât l’hôtel de Rambouillet. Mme la princesse de Condé n’aimait pas Richelieu : elle ne lui pardonnait pas le sang de son frère Montmorency, que toutes ses prières et ses larmes n’avaient pu sauver ; mais elle se laissait conduire à la politique de son mari. Il fallut bien qu’elle donnât les mains au mariage du duc d’Enghien avec Mlle de Brézé, et elle était sans cesse avec ses enfans au Palais-Cardinal et à Ruel. Elle y était reçue comme elle ne pouvait pas ne pas l’être, et les poètes de M. le cardinal célébraient à l’envi la mère et la fille. Richelieu, comme on le sait, avait cinq poètes qui tenaient de lui pension pour travailler à son théâtre : Bois-Robert, Colletet, l’Étoile, Corneille et Rotrou. On les appelait les cinq auteurs, et ils

  1. Ibid., p. 170. Voyez aussi la chanson à Mme la Princesse sur l’air des Landriri, ibid., p. 129,
  2. Voyez les diverses vues de Ruel par Perelle.