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M. Roederer n’a presque rien laissé à faire pour le dénombrement des grands seigneurs et des grandes dames qui fréquentèrent l’hôtel de Rambouillet dans la dernière moitié de sa longue et brillante carrière. Je me bornerai à détacher, dans le groupe de femmes aimables qui y étaient assidues, la figure d’une personne que M. Roederer a trop laissée dans l’ombre, et qui est, à mes yeux, le modèle de la vraie et parfaite précieuse, Madeleine de Souvré, marquise de Sablé, qui a joué un assez grand rôle dans la vie de Mme de Longueville et dont Mme de Motteville nous a laissé le portrait suivant :

« La marquise de Sablé[1] étoit une de celles dont la beauté faisoit le plus de bruit quand la reine (la reine Anne) vint en France (en 1615) ; mais, si elle étoit aimable, elle désiroit encore plus de le paroître. L’amour que cette dame avoit pour elle-même la rendit un peu trop sensible à celui que les hommes lui témoignoient. Il y avoit encore en France quelques restes de la politesse que Catherine de Médicis y avoit rapportée d’Italie, et on trouvoit une si grande délicatesse dans les comédies nouvelles et tous les autres ouvrages en vers et en prose qui venoient de Madrid, qu’elle avoit conçu une haute idée de la galanterie que les Espagnols avoient apprise des Maures. Elle étoit persuadée que les hommes pouvoient sans crime avoir des sentimens tendres pour les femmes, que le désir de leur plaire les portoit. aux plus grandes et aux plus belles actions, leur donnoit de l’esprit et leur inspiroit de la libéralité et toutes sortes de vertus, mais que d’un autre côté les femmes, qui étoient l’ornement du monde et étoient faites pour être servies et adorées, ne devoient souffrir que leurs respects. Cette dame, ayant soutenu ses sentimens avec beaucoup d’esprit et une grande beauté, leur avoit donné de l’autorité dans son temps, et le nombre et la considération de ceux qui ont continué à la voir ont fait subsister dans le nôtre ce que les Espagnols appellent fucezas. »

Mme de Sablé avait été passionnément aimée du brave, beau et infortuné duc de Montmorency, oncle de Mme de Longueville, décapité à Toulouse en 1632. Elle répondit à sa passion ; mais, Montmorency ayant levé les yeux sur la reine, Mme de Sablé, en digne Espagnole, rompit avec lui. « Je lui ai ouï dire à elle-même, quand je l’ai connue, dit encore Mme de Motteville, que sa fierté fut telle à l’égard du duc de Montmorency, qu’aux premières démonstrations qu’il lui donna de son changement elle ne voulut plus le voir, ne pouvant recevoir agréablement des respects qu’elle avoit à partager avec la plus grande princesse du monde. »

La marquise de Sablé resta fidèle toute sa vie aux mœurs de sa jeunesse,

  1. Mémoires, t. Ier, p. 13.