Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/1029

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Depuis quelque temps, ils étaient retirés des affaires avec une fortune considérable, un bel hôtel à Paris, une magnifique résidence à la campagne[1] ; ils ne faisaient donc ombrage à personne et attiraient tout le monde. Ajoutez, pour achever le portrait d’une maîtresse de maison accomplie, que Mme de Rambouillet avait été très belle sans avoir jamais eu aucune intrigue, et qu’elle aimait passionnément les gens d’esprit sans nulle prétention personnelle : à peine si on a pu retrouver d’elle quelques lettres et deux quatrains[2].

Aussi a-t-elle été l’objet de l’unanime admiration de tous ceux qui l’ont connue. Tallemant des Réaux lui-même en fait un éloge sans réserve. Il reconnaît qu’elle était belle, sage et raisonnable. « Elle a, dit-il, toujours aimé les belles choses, et elle alloit apprendre le latin seulement pour lire Virgile, quand une maladie l’en empêcha ; depuis, elle s’est contentée de l’espagnol… C’est une personne habile en toutes choses… Il n’y a pas au monde de personne moins intéressée ; elle passe bien plus avant que ceux qui disent que donner est un plaisir de roi, car elle dit que c’est un plaisir de dieu… Il n’y a pas un esprit plus droit… Jamais il n’y a eu une meilleure amie. » Son seul défaut, que M. Roederer a passé à dessein sorts silence et que Tallemant ne manque pas de relever, était une délicatesse excessive dans le langage. Il y avait des mots qui lui faisaient peur et qui ne pouvaient trouver grace auprès d’elle, en sorte qu’il y avait déjà dans Arthénice, nom de précieuse de Mme de Rambouillet, quelque chose de Philaminte[3]. Segrais parle d’elle dans les mêmes termes que

  1. Le château de Rambouillet, au-dessus de Versailles, à dix lieues de Paris. François Ier y était mort.
  2. L’un à Mme la duchesse d’Aiguillon, pour en obtenir un cours d’eau (Tallemant, t. II, p. 228) ; l’autre, son épitaphe, conservée par Ménage dans ses Observations sur les Poésies de Malherbe.
  3. Tome II, p. 233. — Je ne sais où M. Roederer a pris que Mme de Rambouillet écrivait si simplement. Voici un billet d’elle qui n’a pas dû mettre celui auquel il est adressé au supplice de la simplicité, comme le dit M. Roederer des lettres de Mme de Rambouillet et de sa fille à Voiture, parlant ainsi par conjecture, car ces lettres ne sont pas venues jusqu’à nous. Celle que nous donnons ici est inédite. Nous la trouvons dans les manuscrits de Conrart, à la Bibliothèque de l’Arsenal, tome XIV, in-4o, p. 53 ; elle est adressée à Godeau, évêque de Grasse.
    « MONSIEUR,
    « Si mon poète-carabin ou mon carabin-poète (Arnault, maître de camp des carabiniers, homme de guerre distingué, de beaucoup d’esprit, mais d’un esprit satirique, personnage assez semblable à Bussy) estoit à Paris, je vous ferois réponce en vers et non pas en prose ; mais par moy-mesme je n’ay aucune familiarité avec les Muses. Je vous rens un million de graces des biens que vous me désirez, et pour récompense je vous souhaite à tous momens dans une loge où je m’assure, monsieur, que vous dormiriés encore mieux que vous ne faites à Vence. Elle est soutenue par des colonnes de marbre transparent, et a esté bâtie au-dessus de la moyenne région de l’air, par la reyne Zirfée. Le ciel y est toujours serein ; les nuages n’y offusquent ni la vue ni l’entendement, et de là tout à mon aise j’ay considéré le trébuchement de l’Ange terrestre. Il me semble qu’en cette occasion la fortune a fait voir que c’est une médisance que de dire qu’elle n’ayme que les jeunes gens. Et parce que non plus que ma loge je ne suis pas sujette au changement, vous pouvez vous asseurer que je seray tant que je vivray,
    « Monsieur,
    « Votre très humble servante,
    « C (Catherine) DE VIVONE. »
    Le 26 juin 1642.