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pour tous les âges et pour toutes les bourses. Vous avez une armée organisée comme des degrés, celui-ci au-dessus de celui-là. Aucune de vos villes ne manque de fantassins ; vos fantassins sont les remparts de votre pays. Votre cavalerie est mal montée, mais merveilleusement équipée. Le fer de vos soldats brille comme de l’argent. Vous avez de l’eau et des ponts en abondance. Vos cultures sont bien entendues ; vous en avez pour chaque saison. L’œil ne se lasse pas plus de voir vos légumes et vos fruits que votre sol ne se lasse de les fournir. Nous avons trouvé dans votre jardin du Baylic (le Jardin des Plantes) en animaux, en plantes et en arbres, ce dont nos anciens eux-mêmes n’avaient jamais entendu parler. Vous avez de quoi contenter l’univers entier en soie, en velours, en étoffes précieuses et en pierreries. Enfin, ce qui nous étonne le plus, c’est la promptitude avec laquelle vous savez ce qui se passe sur les points les plus éloignés. »

Voilà assurément un bel éloge de notre civilisation. Il semble que nous devrions exercer une grande action sur un peuple qui apprécie aussi vivement toutes les découvertes et toutes les ressources de notre esprit ; malheureusement les Arabes mettent dans les jugemens qu’ils portent sur eux-mêmes une intelligence aussi élevée que dans les jugemens qu’ils portent sur nous. Ce ne sont point des sauvages, menant par la seule impulsion de la nécessité et de l’habitude une vie dont ils ne comprennent point la grandeur. Ce qu’il y a de charme profond, de saisissant attrait dans leur libre et périlleuse existence, ils le connaissent mieux que nous. Qu’on en juge par cette apologie de l’Afrique dont le Chambi fit suivre son éloge de notre pays :

« Tandis que votre ciel est sans cesse brumeux, que votre soleil est celui d’un jour ou deux, point davantage, nous avons un soleil constant et un magnifique climat. Si par hasard le ciel vient à s’ouvrir sur nous, un instant après il se referme, le beau temps reparaît et la chaleur nous est rendue. Tandis que vous êtes fixés au sol par ces maisons que vous aimez et que nous détestons, tous les deux ou trois jours nous voyons un pays nouveau. Dans ces migrations, nous avons pour cortége la guerre, la chasse, les jeunes filles qui poussent des cris de joie, les troupeaux de chamelles et de moutons qui sont le bien de Dieu se promenant sous nos regards, les jumens suivies de leurs poulains qui bondissent autour de nous.

« Vous travaillez comme des malheureux, nous ne faisons rien. Notre vie est remplie par la prière, la guerre, l’amour, l’hospitalité, que nous donnons ou que nous recevons. Quant aux travaux grossiers de la terre, c’est l’œuvre des esclaves. Nos troupeaux, qui sont notre fortune, vivent sur le domaine de Dieu ; nous n’avons besoin ni de piocher, ni de cultiver, ni de récolter, ni de dépiquer les grains. Quand nous le jugeons nécessaire, nous vendons des chameaux, des moutons, des chevaux ou de la laine ; puis nous achetons et les grains que réclame notre subsistance et les plus riches de ces marchandises que les chrétiens prennent tant de peine à fabriquer. Nos femmes, quand elles nous aiment, sellent elles-mêmes nos chevaux, et, quand nous montons à cheval, elles viennent nous dire, en nous présentant notre fusil : O monseigneur ! s’il plaît à Dieu, tu pars avec le bien, tu reviendras avec le bien.

« Notre pays en printemps, en hiver, dans toutes les saisons, ressemble à un tapis de fleurs d’où s’exhalent les plus douces odeurs. Nous avons des truffes