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dans la tombe. Or, à l’époque même où les populations égyptiennes retombaient presque subitement dans leur corruption et dans leur impuissance séculaires, la moralité, la discipline, l’esprit de commandement, reprenaient au contraire quelque chose de leur ancienne vigueur dans la race ottomane. Les Turcs, chez lesquels l’esprit n’a point les allures très vives ni très démonstratives, mais qui possèdent à un très haut degré le don du bon sens calme, ont bientôt senti que la supériorité leur revenait ; ils ont compris toute la portée de cette révolution que la nature se chargeait elle-même d’opérer dans leur situation vis-à-vis de l’Égypte. Réfléchis par tempérament, patiens par religion, ils ont attendu que le moment fût venu de ressaisir les privilèges que les traités garantis par les grandes puissances européennes leur assurent en Égypte, et ils ne doutent plus aujourd’hui que l’heure n’ait sonné.

On le sait, sous le pouvoir du personnage bizarre et fantasque qui gouverne l’héritage de Méhémet-Ali, les populations égyptiennes n’ont point jusqu’à présent possédé les garanties de sécurité accordées à toutes les autres populations de l’empire. Le recrutement arbitraire, la confiscation des propriétés, les corvées gratuites, tout le système d’exactions et de tyrannie particulier au vieil Orient a régné jusqu’ici en Égypte. En Turquie, les corvées et les confiscations n’existent plus ; le recrutement ne s’opère plus que par la voie du sort ; les fonctionnaires civils ou militaires ne peuvent plus impunément attenter à la liberté ou à la vie des sujets musulmans ou chrétiens du sultan ; les tribunaux font chaque jour des exemples dans tous les rangs. Que demandait le sultan au pacha d’Égypte ? C’est que le même régime fût introduit dans son gouvernement ; c’est que le hatti-schérif de Gulhané, où sont déposés les principes élémentaires de tous les droits compatibles avec la civilisation orientale, appliqué aujourd’hui avec succès aux provinces même les plus turbulentes de l’empire, la Syrie et la Bosnie, fût proclamé aussi en Égypte, et enfin que ce pays reconnût et acceptât la souveraineté du sultan dans l’ordre législatif et judiciaire. Le sultan, il faut le reconnaître, a apporté dans ce différend les dispositions les plus conciliantes : c’est ce que prouve la transaction récemment conclue en Égypte par le commissaire turc Fuad-Effendi. Il aurait pu obtenir davantage en prenant une attitude plus menaçante : il a préféré demander moins, afin de réussir plus vite et de couper court aux intrigues diplomatiques qui auraient pu s’agiter autour du pacha. Abbas s’engage d’ailleurs à adopter les principes du Tanzimat. La sagesse de la Turquie, aidée du temps, fera le reste, si les puissances étrangères ne lui suscitent point de nouveaux obstacles.

Tournez à présent vos yeux vers le Nouveau-Monde, vers ces états de la Plata qui ont le privilège, par leurs révolutions et leurs guerres, de tenir en suspens le jugement de l’Europe en attirant sans cesse son attention : tout n’est point terminé, il s’en faut, par la chute de Rosas, et on pourrait dire plutôt que c’est le commencement d’une situation où peuvent surgir d’un jour à l’autre des complications de tout genre. Ce n’est pas tout de secouer le joug d’un maître qui ne brillait point sans doute par le libéralisme et la douceur de son gouvernement : il faut savoir se gouverner soi-même, il faut justifier les prétentions qu’on a eues de mieux satisfaire aux besoins du pays, il faut prendre garde de laisser dégénérer les moyens qu’on a employés en élémens d’agitations nouvelles. Qu’arrive-t-il, par exemple, dans l’Uruguay ? On sait par quel