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qui se préparent. En observant la situation de la Belgique, qu’avons-nous fait autre chose que de noter des signes déjà visibles de décadence dans le ministère actuel ? La science des symptômes n’est pas toujours infaillible, il s’en faut ; elle ne trompe pas toujours cependant, témoin les récentes crises qui viennent d’avoir lieu à Turin et la transformation ministérielle qui s’est accomplie. Nous avions eu l’occasion de signaler sur quelle dangereuse pente se trouvait le cabinet piémontais.

Voici pourtant un ministère qui avait traversé avec fermeté et honneur des momens difficiles. Il avait sauvegardé la situation du Piémont au milieu du mouvement de l’Europe ; il est venu échouer dans les complications intérieures des partis. Il y a quelques mois déjà, on avait pu remarquer, sans trop se l’expliquer, une sorte de rapprochement entre le cabinet et cette fraction de la chambre qu’on nomme le centre gauche, — car en vérité, en Piémont, il y a un centre gauche et aussi un centre droit, sans compter une extrême droite et une extrême gauche, pour ne point parler des autres nuances. Au fond, le véritable auteur de ce singulier rapprochement, ce n’était point le cabinet lui-même : c’était M. de Cavour, le ministre des finances. M. de Cavour est un homme de talent, qui a toute l’ambition du talent. Il aura vu probablement que M. d’Azeglio était affaibli par la maladie, et c’est pourquoi il aura songé à lui succéder comme président du conseil. Le moyen pour y arriver, c’était de constater assez hautement sa nouvelle évolution politique, et d’amener la démission de M. d’Azeglio. C’est ce qui s’est réalisé à la mort de M. Pinelli, le président de la chambre des députés. M. de Cavour y a vu une occasion de sceller son alliance avec le centre gauche, de constater qu’il était personnellement en possession de la majorité parlementaire, et il a fait nommer à la présidence de la chambre le chef de ses nouveaux alliés, M. Ratazzi ; sur quoi M. d’Azeglio et ses collègues se sont hâtés de donner leur démission. M. de Cavour seulement n’a point manqué de revendiquer sa part de solidarité dans l’acte de la chambre ; mais ici les péripéties intimes ont commencé, et il s’est finalement trouvé que celui qui semblait avoir si bien manoeuvré n’a eu qu’une courte victoire. Le roi a commencé par inviter ses ministres à s’entendre pour continuer à rester ensemble au pouvoir. Plus M. de Cavour se sentait près du succès, plus il s’est montré inflexible. Il n’est point impossible que cette attitude ait blessé au palais de Turin, et voilà comment M. de Cavour a été écarté, tandis que M. d’Azeglio restait chargé de composer un nouveau cabinet. Le successeur de M. de Cavour au ministère des finances est M. Cibrario, qui ne passe point pour s’être occupé beaucoup de ces matières, et cependant tout l’avenir du royaume est dans la question financière ; celle-là seule domine toutes les autres, et peut grandement influer sur le sort du pays. Il y a aujourd’hui d’autant plus de difficultés sous ce rapport, que M. de Cavour a inauguré tout un nouveau système ; il a brisé l’ancien rouage administratif et financier avant de l’avoir remplacé ; il a changé l’assiette de l’impôt, et s’est livré à beaucoup d’innovations qui ne laissent point que de constituer un assez lourd héritage.

Au milieu de toutes ces difficultés, on a parlé un moment de la dissolution de la chambre. Une telle mesure aujourd’hui amènerait de singulières complications, car elle entraînerait presque infailliblement le triomphe de l’un des deux partis extrêmes, et, dans un cas comme dans l’autre, il serait fort difficile