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probablement une de ses dernières tâches. Un des plus récens projets qui lui aient été présentés est celui qui concerne le séjour des gens sans aveu et des étrangers non autorisés à Paris et à Lyon. L’exposé sur lequel s’appuie ce projet a son côté instructif. Qu’enseigne-t-il, par exemple, quant à la composition permanente de l’armée des insurrections ? C’est que Paris, par lui-même, en réalité, offre à peine un cinquième au contingent de l’émeute. Quelle redoutable révélation remet-il encore sous nos yeux ? C’est qu’il se lève chaque jour à Paris, s’ils ont pu se coucher, sept ou huit mille individus qui ne savent pas comment ils atteindront le soir, comment ils vivront, et toujours prêts à glisser dans le crime, ou à s’emparer de toute émotion publique pour pénétrer par cette issue dans la société. Le projet confère au gouvernement la faculté d’interdire administrativement le séjour de Paris et de Lyon aux plus dangereux de ces vagabonds. La loi sur l’instruction publique, d’un autre côté, ne paraît point devoir être soumise en ce moment au corps législatif. D’assez grandes dissidences semblent avoir motivé cet ajournement, beaucoup moins regrettable en présence de la loi actuelle qui date de deux ans à peine, et qui fut inspirée, on le sait, par le plus honorable esprit de transaction. En attendant, le ministre de l’instruction publique vient de publier une circulaire qui est une sorte de commentaire du programme d’études décrété au mois d’avril. La circulaire nouvelle lève les doutes qui avaient pu être conçus au sujet de la séparation de l’instruction scientifique et de l’instruction littéraire. Il est évident aujourd’hui que le but du décret n’est point de scinder d’une manière absolue les deux enseignemens, et que les notions littéraires conserveront leur place dans l’ensemble des études scientifiques, de même que les notions scientifiques resteront un des élémens de l’enseignement littéraire.

Peut-être le gouvernement a-t-il voulu faire intervenir sa pensée en faveur des études classiques au milieu d’une polémique singulière qui s’est élevée depuis quelque temps au sujet de cet enseignement. Une brochure d’un ecclésiastique, de M. l’abbé Gaume, portant le titre bizarre du Ver rongeur, a donné naissance à cette polémique. Le ver rongeur, c’est le paganisme propagé par l’instruction classique. Et à ce propos n’est-on point frappé de l’étrange penchant d’une multitude d’esprits à rechercher sans cesse quelqu’un ou quelque chose qu’ils puissent charger uniquement, absolument de la responsabilité de tous les maux de la société ? Le Selectoe et le De Viris paraissent être, pour M. l’abbé Gaume, les véritables causes de toutes nos calamités. S’il ne s’agit que de changer quelques auteurs dans les mains de la jeunesse, on conviendra qu’il n’est pas de plus facile moyen de salut social. L’instruction classique, au surplus, nous semble être l’objet d’imputations assez contradictoires : tantôt on l’accuse de ne rien enseigner aux enfans et de les laisser, au sortir du collège, aussi ignorans qu’au moment où ils y sont entrés ; tantôt on lui reproche précisément ce qu’elle a enseigné. Il faudrait cependant s’entendre sur ces imputations qui s’excluent. Il y a quelques années, ce qu’on attaquait, c’étaient les tendances générales de l’instruction publique, et, dans ces termes du moins, la discussion se comprenait, car en définitive la seule chose toujours contestable, c’est l’esprit qui préside à l’enseignement. Ce qu’on attaque aujourd’hui, c’est la littérature classique elle-même, dans son essence, radicalement ; c’est cet ensemble d’œuvres où éclate l’intelligence antique dont on s’applique