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rien à dire. Si ce récit avait simplement pour but de nous montrer le peuple anglais comme un grand peuple, qui s’en étonnerait ? Mais c’est bien autre chose, en vérité. C’est l’indication de toute une politique nouvelle, sous la forme d’un plaidoyer en règle contre la France, en faveur de l’Angleterre, au point de vue belge. Que peut faire la Belgique de ses accointances avec la France, ce foyer d’anarchie et de despotisme, cette comète errante dans le ciel politique de l’Europe, ce pays de la centralisation et du feuilleton, des passeports et des gendarmes, des parades militaires et des citadelles gardées par de triples rangs de sentinelles ? Il y en a ainsi fort long sur notre pauvre pays et dans notre propre langue. Quant à l’Angleterre, c’est bien différent ; c’est le sol libre par excellence, c’est la terre où la presse dit toujours vrai, où M. Kossuth peut aller exercer ses prodiges, où on peut aller et venir sans passeport, où c’est à peine si on peut trouver un soldat dans Londres en cherchant bien, et où Wolwich n’est gardé que par un mur de jardin. Nous réservons, bien entendu, les grands côtés de cet éminent pays. Conclusion : la Belgique doit se faire la petite Angleterre du continent, et doit se hâter de se placer sous la généreuse tutelle anglaise ; elle doit se modeler sur sa puissante protectrice, lui emprunter ses idées, ses mœurs, sa politique, sa langue même, et jusqu’à cette magnanimité qui fait de son sol libre un inviolable asile. C’est probablement pour rentrer dans ce rôle qu’on vient en ce moment d’exclure de l’armée belge un certain nombre d’officiers polonais, qui y servaient honorablement depuis vingt ans, à cette fin unique de ne point désobliger sa majesté l’empereur de Russie, très haut et très sincère protecteur des institutions libres, comme on sait, — à moins que d’autre part on n’ait pensé qu’abondance de bien et de protection ne nuit pas. On pourrait comprendre à la rigueur que l’auteur de Londres au point de vue belge nous parlât encore de la bataille de Waterloo, gagnée par l’armée anglaise de compagnie avec les Belges : c’est de tradition, quoiqu’un peu usé. On peut concevoir qu’il célèbre le désintéressement du protectorat anglais ; cela dénote une ténacité de conviction peu commune après les procédés éclatans et sommaires de protection exercés par lord Palmerston envers la Grèce. Il ne faudrait point cependant outrepasser la mesure. Après tout, si la nationalité belge rencontre dans son développement des difficultés naturelles qu’elle ne peut vaincre qu’avec beaucoup de modération et d’habileté ; si la Belgique, en un mot, n’est qu’un composé d’un morceau de France et d’un morceau des Pays-Bas, qu’y pouvons-nous ? Et quand l’auteur parviendrait, comme il le propose, à inoculer à bon nombre de ses compatriotes, en guise d’antidote contre la France, la langue et les mœurs anglaises, en quoi cela aplanirait-il ces difficultés ? On serait Anglais, Français et Flamand en Belgique, voilà tout. Où serait le signe plus caractéristique de cette nationalité que nous désirons, pour notre part, voir s’affermir dans des conditions plus en rapport avec la nature des choses, c’est-à-dire moins puérilement hostiles pour notre pays ? Que si le publiciste bruxellois tient absolument à nous convaincre que la France a été ce qu’il appelle une mauvaise connaissance pour la Belgique, on ne saurait guère objecter qu’une chose : c’est qu’en effet sans cette mauvaise connaissance une sérieuse difficulté, la mère de toutes, eût été épargnée à la Belgique, — celle de vivre, — comme aussi très probablement, sans cette mauvaise connaissance, l’auteur de Londres au point de vue belge n’aurait