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si belles choses pour nous valoir ensuite de plus étroites contraintes. Si quelque chose peut nous surprendre, ce n’est donc point qu’une loi sur la presse pose des restrictions et des limites : c’est là justement ce que nous demanderions volontiers aux lois dans leur sévérité même, — de poser des limites et des règles, de préciser les cas de responsabilité. Toute autre sévérité, dans ce qu’elle aurait d’inconnu, ne risquerait-elle point d’être périlleuse aussi bien pour ceux qui auraient à l’exercer que pour ceux qui auraient à en subir les incertitudes ? C’est à la pratique d’atténuer ce côté périlleux de la législation nouvelle, en se pliant d’elle-même aux latitudes nécessaires de toute manifestation légitime de la pensée.

Aussi bien, à travers la multitude de reviremens politiques de notre temps, quelle étrange fortune que celle de la presse ! Voici quelque vingt années qu’une révolution s’accomplissait en France en grande partie pour elle et par elle. Le vent soufflait dans ses voiles, la popularité l’environnait ; c’était l’instrument souverain de la civilisation, le quatrième pouvoir, le plus redouté peut-être et parfois le plus envié. Une révolution soudaine éclate, à laquelle elle n’est point sans avoir contribué, et il se trouve que cette explosion nouvelle est pour la presse le commencement d’épreuves inattendues. Chaque événement lui apporte une entrave de plus. La presse expie ses excès sans doute ; est-elle cependant la seule coupable ? Que d’hommes fort libéraux il y a quinze ans, qui eussent signé des comptes-rendus, et qui ne demandent pas mieux que de se venger sur elle de leur libéralisme passé ! Que d’honnêtes gens qui souscrivaient béatement aux journaux fouriéristes, et pour qui la presse est un vivant reproche de leur naïve sottise ! Et ceux dont elle a fait la réputation et qui n’ont plus besoin d’elle ! Et les cliens oisifs des romans humanitaires, qui ne peuvent lui pardonner leur effroi des personnages qu’ils ont aidé à mettre au monde ! Et ceux qui, par amour du repos, ont peur de penser ! La popularité dont jouissait la presse autrefois, on ne saurait en disconvenir, n’est égalée que par son impopularité depuis quelques années, tant chacun se hâte de se décharger sur elle de ses propres corruptions et d’y voir l’unique source de tout mal. Il faudrait pourtant s’arrêter à un point plus vrai : c’est que la presse en elle-même n’est ni essentiellement bonne ni essentiellement mauvaise ; elle est en réalité ce que les hommes la font, écrivains ou public, — ce que la société la fait. Elle participe du caractère général du temps et du pays, et au fond elle ne mérite d’être placée ni si haut ni si bas que nous la plaçons tour à tour dans nos entraînemens ou nos déceptions. La vérité est que, ramenée à son essence et à son but, elle est un instrument naturel, nécessaire de recherche et d’information, qu’il est sans doute dans le droit des pouvoirs publics de contenir, mais qui a sa force aujourd’hui dans les usages, dans les mœurs et dans ce besoin universel d’une culture ordinaire qui semble le trait dominant de notre temps. C’est dans ces conditions qu’il faut envisager la presse, et c’est dans ces conditions qu’elle peut être l’auxiliaire efficace des investigations et des solutions que les gouvernemens eux-mêmes poursuivent dans les divers ordres d’intérêts publics.

Parmi ces solutions à étudier et à poursuivre, et qui touchent aussi peu que possible aux polémiques politiques ordinaires, il en est assurément d’une importance sérieuse. L’une d’elles vient d’être abordée par le gouvernement ; ce n’est