Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/976

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


ADMÈTE.


Surtout j’aime, ô campagne, en tes vertes retraites,
L’asile et l’ornement qu’à nos amours tu prêtes.
De mille fleurs en vain le vallon est semé ;
Nulle terre n’est belle où l’on n’a pas aimé.
Mais l’amour s’est sevré de voluptés sans nombre.
S’il n’a connu jamais les bois, la mousse et l'ombre.
Oui, malgré les baisers, les pleurs, les noms touchans,
Nul ne sent bien l’amour s’il ne le goûte aux champs.

ERWYNN.

Tu sers l’amour aux champs, et les champs m’en délivrent.
Si je chéris ces bois et ce désert lointain,
C’est que les voluptés dont les forêts m’enivrent
M’ouvrent contre l’amour un refuge certain.

Oui, j’ai subi l’amour, j’ai vécu de ses flammes ;
Oui, je sais qu’au désert il a mille ornemens.
Qu’il agrandit parfois les ailes de nos âmes ;
J’ai connu son délire et ses ravissemens.

Mais quel tumulte, hélas ! la passion déchaîne !
N’es-tu donc rien, amour, qu’un orage éternel ?
Amour, on te dirait toujours mêlé de haine ;
Tu t’aigris parmi nous comme un levain mortel.

Oui, le fiel est au fond de ta coupe épuisée,
Même quand deux grands cœurs se la versent entre eux.
Tu n’es que la douleur, un instant déguisée,
Qui reprend tôt ou tard ses droits sur les heureux.

Mais toi, culte paisible, amour de la nature,
Tu n’as pas de soupçons, pas de haine à souffler ;
L’ame, en te respirant, se console et s’épure ;
Tes pleurs sur notre front tombent sans le brûler.
 
D’un lien éternel, quoique tu nous enchaînes.
Jamais l’injuste ennui n’en alourdit le poids.
Amour doux à porter comme l’ombre des chênes
Dans ces chères prisons que je demande aux bois !