Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/968

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

flèches, décochées sans interruption de toutes les parties de l’enceinte, en écarta les assaillans. La nuit arriva sur ces entrefaites, et l’obscurité devint tellement épaisse, qu’on ne distinguait plus amis ni ennemis, et que des divisions entières s’égarèrent dans leur marche. Thorismond, descendu de la colline pour rejoindre son corps d’armée, alla donner, sans le savoir, contre les chariots des Huns, où il fut reçu à coups de flèches, blessé à la tête et jeté en bas de son cheval. Ses soldats l’emportèrent tout couvert de sang. Aëtius lui-même, séparé des siens, et à la recherche des Visigoths, qu’il croyait perdus, erra quelque temps au milieu des ennemis. Lui et ses confédérés passèrent le reste de la nuit à veiller dans leur camp, le bouclier au bras.

Le soleil se leva sur une plaine jonchée de cadavres. Cent soixante mille morts ou blessés restaient, dit-on, sur la place. Tout ce que les Romains et leurs alliés savaient encore du résultat de la bataille, c’est qu’Attila avait dû essuyer un grand désastre : sa retraite faite avec tant de précipitation et de désordre en paraissait l’indice certain, et, quand on le vit obstinément renfermé dans son camp, on conclut qu’il s’avouait vaincu. Au reste, bien que retranché derrière ses chariots, le roi hun ne faisait rien qui fût indigne d’un grand courage : du milieu de son camp retentissait un bruit incessant d’armes et de trompettes, et il semblait menacer de quelque coup inattendu. « Tel qu’un lion pressé par les chasseurs parcourt à grands pas l’entrée de sa caverne sans oser s’élancer au dehors, et épouvante le voisinage de ses rugissemens, tel, dit l’historien Jornandès, le fier roi des Huns, du milieu de ses chariots, frappait d’effroi ses vainqueurs. » Les Romains et les Goths délibérèrent sur ce qu’ils feraient d’Attila vaincu ; ils convinrent de le mettre en état de blocus et de le laisser se consumer lui-même, sans lui offrir par une attaque de vive force l’occasion d’une revanche. On raconte que, dans cette situation désespérée, il fit dresser en guise de bûcher un énorme monceau de selles, tout prêt à y mettre le feu et à s’y précipiter ensuite, si l’ennemi forçait l’enceinte de son camp.

Cependant Théodoric ne reparaissait point ; il ne revenait point jouir de la victoire des siens ; divers bruits couraient sur sa disparition ; on le crut captif ou mort. On le chercha d’abord sur le champ de bataille comme un brave, et on trouva, non sans peine, son cadavre enfoui sous un amas d’autres cadavres. À cette vue, les Goths entonnèrent un hymne funèbre et enlevèrent le corps sous les yeux des Huns, qui n’essayèrent point de les troubler. Leurs devins sans doute firent sonner bien haut l’infaillibilité de leurs pronostics, que l’événement semblait vérifier, car enfin ils avaient annoncé la mort du chef des ennemis ; toutefois ce n’était pas sur celle-ci qu’Attila avait compté. Thorismond, guéri de sa blessure, présida aux funérailles de son père, que