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entré plus tard dans les carrières civiles, il le servit également bien, et se fit la réputation d’un politique habile et heureux. On vantait surtout l’adresse avec laquelle, en 439, étant préfet du prétoire des Gaules, il avait arraché au roi des Visigoths une trêve ou un traité de paix que ce dernier refusait obstinément aux généraux romains. À l’expiration de chacune de ses charges, Avitus venait s’ensevelir dans sa délicieuse villa d’Avitacum, qu’il avait fait construire à l’endroit le plus agreste de ses montagnes, sous un rocher couvert de sapins, au milieu d’eaux jaillissantes et sur la lisière d’un petit lac. Il y menait une vie tout à la fois voluptueuse et occupée, en compagnie de ses livres, des gens de lettres qui affluaient chez lui de toutes parts, et des femmes élégantes de la province. Des fenêtres de sa bibliothèque, où les beaux esprits venaient réciter leurs vers et leur prose, on apercevait les bains thermaux qu’il avait fait bâtir à grands frais pour l’agrément de ses hôtes et pour le sien. Sa famille se composait de deux fils, dont l’aîné, Ecdicius, succéda plus tard à son importance, et d’une fille nommée Papianilla, qui avait épousé Sidonius, de la famille lyonnaise des Apollinaires, homme honorable et distingué, et déjà le poète le plus en vogue de tout l’Occident.

Si l’exquise urbanité d’Avitus et les rares mérites de son esprit le faisaient rechercher en tous lieux, même à Rome, nulle part il ne recevait un accueil plus empressé, il n’était l’objet d’une admiration plus expansive qu’à la cour des Visigoths. Théodoric ne se lassait point de voir et d’entendre ce type de toutes les élégances, qui contrastait si fort avec la tenue grossière, la voix rauque et le mauvais latin des seigneurs en casaque de peau qui composaient le fond de la cour de Toulouse. Une visite du noble arverne était pour le fils d’Alaric une bonne fortune ardemment souhaitée : il le consultait sur toutes choses, principalement sur l’éducation de ses enfans. Il semble même qu’Avitus consentit à diriger les études du jeune Théodoric, fils puîné du roi. Grace aux leçons du digne conseiller, la demeure des ravageurs de Rome se transforma en une académie latine où l’on étudiait le droit romain et où l’on commentait l’Énéide. Le jeune Théodoric se rappela toujours avec reconnaissance qu’il lui devait le bonheur d’avoir lu, comme il disait, « les pages du docte Maron. » C’est à cette autorité toute personnelle d’Avitus sur l’esprit au roi barbare qu’Aëtius eut l’idée de s’adresser, et, comme le temps pressait, il partit immédiatement pour Avitacum en compagnie de quelques nobles arvernes.

« Avitus, salut du monde, dit-il en abordant le maître du lieu, ce n’est pas pour toi une gloire nouvelle de voir Aëtius te supplier. Ce peuple barbare qui demeure à nos portes n’a d’yeux que les tiens, n’entend que par tes oreilles ; tu lui dis de rentrer dans ses cantonnemens, et il y rentre ; tu lui dis d’en sortir, et il en sort ; fais donc