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serait chargée du contrôle de la comptabilité du service annuel dans chaque branche de l’administration civile et militaire, et de la surveillance de la dette publique ; que cette cour des comptes, pour mieux assurer l’indépendance de ses membres, fût élue par les conseils provinciaux, et que, réunie aux principaux conseillers du gouvernement, elle formât une junte ou consulte administrative ; enfin, que le saint père créât un conseil d’état, dont il prendrait les membres parmi les notabilités de naissance, de fortune et de talent du pays.

Ces demandes étaient si fondées, que, dès 1831, le gouvernement papal en avait reconnu la justesse, et on a cent fois imprimé et réimprimé la note adressée, en date du 5 juin, par le cardinal Bernetti à M. de Saint-Aulaire, alors ambassadeur de France à Rome, dans laquelle, après avoir formellement adopté jusqu’aux termes du memorandum, le cardinal-ministre ajoutait : « L’administration publique réorganisée de la sorte, il est hors de doute que nul ne pourra plus prétendre à troubler l’ordre, à moins qu’il ne veuille substituer sa volonté particulière à la volonté publique et se constituer tyranniquement l’arbitre du sort commun… » Paroles aussi sages qu’explicites ! que ne furent-elles dès-lors suivies d’effet !

Et cette réforme dont, en 1831, tous les grands gouvernemens chrétiens sans exception proclamaient l’urgence, cette réforme qu’en 1846 Pie IX, aux acclamations de l’Europe, résolut d’entreprendre, il aurait cessé, en 1852, d’être moral et profitable de l’accomplir ! Embrasse qui voudra une opinion aussi funeste ; dans la conviction profonde qui nous possède du sentiment contraire, nous ne pouvons, en terminant, que l’exprimer avec toute la force qui est en nous ; nous ne pouvons que redire avec les populations émerveillées de 1846 un cri depuis dénaturé par les factions, mais alors plein d’amour et d’espérance : Courage, saint père ! Parce que le flambeau de la civilisation est tombé une fois des mains augustes qui le portaient, est-ce une raison pour le laisser à terre ? C’est une raison pour le ramasser, le rallumer et le faire briller plus haut et plus clair que jamais. Votre sainteté a devant les yeux un modèle dont mieux que personne aujourd’hui elle peut reproduire les traits généreux et sages ; ce modèle, c’est elle-même, c’est le magnifique exorde de votre pontificat ; c’est la politique des derniers mois de 1846, moins ses illusions si tôt évanouies, moins ses incertitudes si cruellement expiées. Courage donc, saint père ! le grand règne, dont vous avez donné deux ans la consolante espérance, si vous le voulez, n’est pas encore perdu pour le monde ; vous pouvez le recommencer !


CHARLES GOURAUD.