Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/923

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas non plus au crédit hypothécaire qu’elle a recours : les frais de justice, en cas d’expropriation, dévoreraient le gage et laisseraient le créancier à découvert. Le paysan pauvre livre des nantissemens qu’on estime à moitié prix et qu’il ne peut dégager ; il achète à crédit, mais au tiers en sus de leur valeur, les semences, l’outil, la bête, sans lesquels il ne pourrait plus cultiver ; il vend un coin de terre à réméré, sans s’apercevoir que ces expédiens sont des emprunts à 20 ou 30 pour 100, et qu’il n’évitera la ruine qu’en s’épuisant à force de travail.

Si du moins le fardeau de la dette foncière était également réparti ! mais il n’en est pas ainsi. Les propriétaires qui ne doivent rien forment évidemment la majorité ; ceux qui sont grevés doivent d’ordinaire la plus forte partie de ce qu’ils possèdent. Combien de malheureux cramponnés aux titres de leurs immeubles, comme le naufragé au débris qui le soutient à fleur d’eau, vivent de privations et d’expédiens jusqu’au jour où ils succombent !

On a remarqué bien souvent que le propriétaire, une fois obéré, entre dans une sorte d’agonie, et que sa perte inévitable n’est plus qu’une affaire de temps. En effet, les ressorts de nos institutions fiscales, faciles et doux pour ceux qui sont dans l’aisance, deviennent rigides pour ceux que la détresse paralyse. On sait, par exemple, que l’impôt foncier a pour base invariable une évaluation des revenus du sol qui remonte à une époque déjà lointaine. Or, dans son remarquable mémoire sur les systèmes de culture, M. Passy constate que la classification des terres établie par le cadastre ne répond plus aux faits actuels, que certains terrains, improductifs autrefois, ont été transformés par des amendemens, et sont devenus des fonds de première qualité. Supposons donc deux familles, l’une riche et l’autre nécessiteuse, possédant des terrains de la dernière classe, taxés autrefois à raison d’un revenu cadastral de 10 francs par hectare. L’une et l’autre imposées au dixième ont t franc à payer ; mais tandis que la famille pauvre, condamnée à l’impuissance par sa pénurie, a laissé sa terre dans l’état primitif, l’autre, à qui les capitaux n’ont pas manqué pour effectuer des améliorations, a porté le revenu de l’hectare à 50 francs. Il résulte de là que l’un des deux contribuables continue à payer 10 pour 100 de son revenu, et l’autre 2 pour 100 seulement. Le procédé habituel pour augmenter l’impôt, qui consiste à ajouter des centimes additionnels à un principal invariable, accroît encore cette disproportion. Il est évident que chaque centime additionnel pèse d’un poids cinq fois plus lourd sur le contribuable dont le revenu est resté stationnaire que sur celui dont la force contributive est quintuplée.

Arrive tôt ou tard le jour de désolation où le propriétaire endetté est dépossédé de son bien, soit par une cession consentie, soit par autorité de justice. Les ventes d’immeubles, auxquelles on peut ajouter les ventes de récoltes sur pied, s’élèvent annuellement à plus