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Ce fut en ces tristes circonstances que les seigneurs silésiens choisirent pour leur agent Wolfgang Büring. En homme habile, celui-ci avisa aux moyens de rendre la confiance aux capitalistes. Sa première idée ayant été de s’adresser aux grands spéculateurs de la Hollande et de la Suisse, il fut conduit, en remaniant successivement les conditions du contrat qu’il voulait faire accepter, à offrir une hypothèque collective sur tous les biens nobles, à rendre les titres hypothécaires négociables et transmissibles par endossement, à assurer le paiement des intérêts en plaçant les débiteurs retardataires sous le coup d’une expropriation immédiate et sans frais, à prendre l’engagement de solder au pair, dans un délai de six mois, tous les titres dont le remboursement serait demandé à la société. Soit que la combinaison n’eût pas été comprise, soit que les craintes ne fussent pas dissipées, il y eut peu d’empressement de la part des capitalistes étrangers. Frédéric II trouva enfin le moyen de lancer victorieusement l’affaire en divisant les titres par petites coupures et en versant dans les caisses de la société 300,000 écus de Prusse (1,125,000 fr.) comme garantie complémentaire du paiement des premières annuités. Par une heureuse coïncidence, une succession de bonnes récoltes répandit l’aisance dans le pays. À défaut d’un placement facile pour les petites économies, on rechercha un papier donnant 5 ou 6 pour 100 d’intérêt. Les lettres de gage entrèrent ainsi dans la circulation, et s’y soutinrent avantageusement.

Dans les hautes régions du monde financier, on n’observait pas l’innovation sans quelque crainte, et, à vrai dire, les attaques semblaient justifiées par les vices du mécanisme primitif. La solidarité forcée de tous les propriétaires compromettait l’emprunteur solvable au profit de l’homme obéré ; la facilité de battre monnaie avec du papier invitait au luxe une noblesse imprévoyante, et augmentait la dette hypothécaire, au lieu de la réduire. Rien n’avait été réglé pour l’amortissement. En offrant aux créanciers le remboursement dans les six mois, on laissait aux emprunteurs la faculté de se libérer à volonté de là d’incessantes difficultés pour mettre en équilibre les recouvremens et les déboursés ; mais le public ne s’arrêtait pas à des critiques de détail. Les résultats immédiats et décisifs pour lui, c’étaient l’intérêt de l’argent abaissé de moitié, les améliorations agricoles devenues possibles, les affaires de tous genres vivifiées par le nouvel élément introduit dans la circulation.

Aussi a-t-on vu depuis cette époque les établissemens de crédit foncier se multiplier, surtout dans les contrées germaniques[1]. En 1788,

  1. La France ne resta pas complètement étrangère à ce mouvement. En refondant ancienne législation hypothécaire dans sa loi du 9 messidor an III, la convention inaugura un système de crédit foncier d’une grande hardiesse. Le propriétaire, autorisé à prendre hypothèque sur lui-même jusqu’aux trois quarts de la valeur de son immeuble, et pour une durée de dix ans au maximum, pouvait émettre des cédules hypothécaires payables à ordre et transmissibles par endossement. Ces titres devaient fonctionner dans la circulation comme les billets de commerce, à la différence qu’ils eussent été à plusieurs années de terme, et qu’en attendant le paiement, ils eussent produit un intérêt annuel payable au domicile du souscripteur. Ce système nous paraît très hasardeux ; toutefois il est juste de reconnaître qu’il n’a pas été mis sérieusement à l’épreuve, plusieurs lois subséquentes en ayant presque aussitôt entravé l’exécution.