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que tous les deux sont pour les sociétés qu’ils affligent des fléaux dans le présent, des germes inévitables de révolution dans l’avenir. Que faire donc à Rome, si les institutions anciennes sont dans cet état singulier de ne pouvoir périr et de ne pouvoir durer : de ne pouvoir périr, car elles sont essentielles à tout ce que la société européenne a le plus cher intérêt à sauver, et de ne pouvoir durer, parce qu’elles blessent tout ce que cette même société a le plus à cœur d’établir ? Le bon sens le dit : conserver ces institutions en les améliorant. Ici se présentent les deux systèmes de juste-milieu qui, de juillet 1846 à novembre 1848, ont eu pour but à Rome de réaliser cette conciliation difficile entre la tradition et la nouveauté, et y ont échoué : je veux parler de la réforme administrative et de la transformation politique des États de l’Église.

Beaucoup de personnes pensent encore, même après les tristes événemens qui en ont été le résultat, que le gouvernement constitutionnel tel que le statut de mars 1848 l’avait établi, tel que pendant neuf mois il a fonctionné, est le seul régime qui puisse assurer le maintien du pouvoir temporel des papes. Cette opinion était celle de M. Rossi. Il y a eu, pensait-il, tant de partages de souveraineté dans le monde, que ce partage nouveau, quoique plus difficile peut-être qu’aucun autre, n’est pas impossible à réaliser. On sait qu’il se conduisit en tout d’après ces principes ; il porta même, dans la mise à exécution que comme ministre il en tenta, une activité presque enthousiaste. Cet homme, en apparence froid comme un marbre et indifférent comme un sceptique, ressentait pourtant et manifestait une foi profonde pour la cause de la liberté. Théoricien politique de la grande école de Montesquieu, il voyait dans le système de la division et de la pondération des pouvoirs la seule forme de gouvernement capable de réconcilier l’esprit des temps anciens et celui des temps nouveaux. Il croyait sincèrement qu’il était possible d’établir et de faire vivre un pontificat constitutionnel. Le coup de poignard qui mit fin à sa vie, la lâche indifférence qui accueillit sa mort, permettent aujourd’hui de douter que cette croyance ait été aussi fondée qu’elle était généreuse. M. Guizot disait en 1847 avec loyauté et noblesse, en parlant des Italiens : « Il vaut mieux les affliger que de les tromper. » On nous permettra de suivre l’esprit de ce beau conseil et de dire librement ce que nous, pensons de l’apparition momentanée que l’on a vue à Rome du gouvernement constitutionnel et de sa restauration possible.

L’une et l’autre ont à nos yeux un vice irrémédiable. Quand il parut en mars 1848 à Rome, le gouvernement constitutionnel y était prématuré ; aujourd’hui il n’y serait pas viable. « La société politique, disait très bien Sieyès, doit être le vêtement de la société civile ; » mais, avant de vêtir la société civile, il faut la constituer. La société civile est-elle