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s’y méprenne pas, suit une invective contre le climat du Nord. On reconnaît là quelque rancune contre le ciel brumeux de Copenhague. Il y était arrivé sous de fâcheux auspices, à la suite d’une disgrace passagère, produit d’un de ces malentendus trop fréquens entre les ministres et leurs agens. Ni l’hospitalité bienveillante qu’il avait reçue dans cette capitale polie du Nord auprès d’un souverain éclairé, ni les richesses d’études et de sciences qu’il trouva dans les bibliothèques abondantes du Danemark, ne purent dissiper tout-à-fait cette nostalgie de la conversation parisienne que dix ans d’éloignement avaient mise à trop forte épreuve. Dès que M. de Saint-Priest eut pu achever dans ses loisirs sa première composition de longue haleine, ses deux savans volumes sur la Royauté, il se hâta de venir chercher dans son pays des lecteurs, des contradicteurs et des juges.

C’est au lendemain de l’échec reçu par la plus vieille royauté de l’Europe moderne, c’était à la veille de la proclamation de la république, que M. de Saint-Priest s’était proposé, comme sujet de travail, la recherche de la formation et du développement de l’institution monarchique dans le monde. Il avait été frappé du problème que présente à la pensée l’établissement naturel dans tous les pays, la persistance obstinée à travers les âges d’une forme de gouvernement qui semblerait, à première vue, conventionnelle et factice : la transmission héréditaire de l’unité de pouvoir dans une famille. Dès les temps les plus anciens dont l’histoire garde le souvenir, au berceau même de l’humanité, la royauté apparaît : elle se développe et se transforme avec les âges divers de la société. Patriarcale, théocratique, militaire, absolue, féodale, constitutionnelle, elle prend le caractère et pour ainsi dire le vêtement de chaque siècle et de chaque peuple ; elle conserve ses traits constitutifs, elle est toujours une et héréditaire. Elle absorbe lentement, mais sûrement, en elle-même toutes les sociétés rebelles, qui, pour un temps plus ou moins long, prétendent s’en affranchir. La royauté hérite partout à peu près certainement des républiques. Quelle institution que celle qui commence avec Pharaon pour descendre jusqu’à la reine constitutionnelle de la Grande-Bretagne en passant par Charlemagne et Louis XIV, — qui fondait les pyramides il y a quatre mille ans et ouvrait hier la grande exposition de l’industrie ! Assise sur ses vieilles et profondes racines, montrant son vaste tronc souvent creusé par l’orage, mais que chaque siècle en passant a enfermé d’un anneau plus fort, cette antique institution a l’air de dire aux lois passagères qu’un jour voit naître et mourir :

Je puis encor compter l’aurore
Plus d’une fois sur vos tombeaux…


C’était une idée nouvelle et féconde de prendre la royauté à son origine, de la suivre à travers ses phases, d’étudier ses transformations,