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un entraînement égal cette pente rapide et fleurie qui précipitait la France vers un abîme. On eut des discussions philosophiques dans des boudoirs, on tailla des ouvrages graves en madrigaux de salon. L’alliance se prolongea jusqu’aux portes de l’assemblée constituante ; mais, il faut le dire, elle fut brisée là. Dans cette assemblée fameuse, qui eut tous les vices de l’ancienne France, dont elle secouait toutes les traditions, la littérature, mère de la déclamation, fit des écarts et prit des libertés que la noblesse ne put ni imiter ni approuver.

La rupture durait encore au moment où M. de Saint-Priest fut admis dans le monde de Paris. La restauration, sur ce point comme sur tant d’autres, n’avait malheureusement réussi à rien réconcilier. Trop mêlée à la philosophie et par conséquent à la politique du dernier siècle, la littérature en gardait l’empreinte aux yeux de l’émigration mal rassurée. Plus d’un grand seigneur qui, dans sa jeunesse, avait hanté librement les beaux esprits, regardait maintenant tout le travail littéraire, les idées ingénieuses, les phrases élégantes, l’éclat de l’imagination comme autant d’armes à feu périlleuses qui avaient fait explosion dans sa main. Il y avait de la philosophie et par conséquent de la révolution dans tout. Les noms eux-mêmes étaient mal famés, parce qu’on en avait trop abusé. On avait allumé tant d’incendies au nom des lumières, qu’un peu d’obscurité paraissait souvent préférable. Ces impressions étaient naturelles, mais leur conséquence était fâcheuse, et ce fut peut-être là, il est bon de s’en souvenir, une des grandes faiblesses du gouvernement de la restauration. Mal vue chez les partisans officiels du gouvernement monarchique, la littérature n’avait point perdu l’influence qu’elle ne cessera d’exercer en France sur l’esprit public. En renonçant à prendre sa part de cette puissance mystérieuse, mais irrésistible, l’ancienne aristocratie, déjà dépouillée, abdiquait un privilège de plus. Tout s’en ressentait autour d’elle, jusqu’à l’agrément de la conversation. Ce n’était plus ce badinage élégant qui avait plus d’une fois fait arriver la vérité jusqu’au pied du trône sous la forme d’un bon mot. Effrayée d’avoir trouvé autrefois tant d’écho, cette conversation s’enfermait elle-même dans un cercle d’idées convenues auxquelles on tenait d’autant plus qu’elles étaient au dehors plus contestées. La contrainte s’y glissait sous la forme d’une frivolité officielle, et c’en était fait de ce charme piquant que les étrangers admiraient autrefois dans nos salons, le contraste de la légèreté du ton et du fond hardi et sérieux des idées.

À ce point de vue, on l’a remarqué avec autant d’esprit que de raison, M. de Saint-Priest était un homme d’avant 89. Il aimait passionnément les lettres et ne les craignait pas. Élevé plus loin des orages de la révolution que ses contemporains, son esprit avait moins profité en prudence, mais aussi moins perdu de liberté. Il était encore du temps