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— Je ne puis… je ne puis… murmura-t-elle, triste écho de sa conscience révoltée.

Puis elle s’affaissa lentement vers sir Stephen, qui, cette fois, la voyant défaillir, était venu à son aide. Il la reçut et l’étreignit dans ses bras, sa fiancée éperdue, et même en ce moment, où elle avait à peine conscience d’elle-même, elle se sentit frémir. Il lui semblait qu’elle allait mourir étouffée dans ces mains d’Hercule, ces mains tremblantes cependant, et qui voulaient l’arracher à la mort.

Contre ces répugnances instinctives, Eleanor se raidissait bravement ; mais encore eût-il fallu trouver quelque point d’appui, et l’amour de sir Stephen, cet amour où l’égoïsme entrait à haute dose, ne se prêtait guère à ces efforts de la jeune fiancée. À tous les dons qu’il lui prodiguait manquaient la bonne grace et le tendre abandon qui seuls pouvaient leur donner quelque prix. Vainement lui fournissait-elle de plein gré les occasions de gagner son cœur ; il les perdait par sa réserve à contre-temps, et faute d’oser à propos les saisir, les mettre à profit.

Eleanor avait gardé auprès d’elle, souvenir vivant d’un temps regretté, un vieux domestique, long-temps attaché au service de David Stuart. Elle désirait que sir Stephen, tout vieux, tout inutile que pût être cet homme, voulût bien, pour l’amour d’elle, lui laisser finir ses jours à Penrhyn-Castle.

— Il connaît ce domaine, il pourrait y rester comme concierge, disait-elle, insistant avec douceur après un premier refus. — Sandy était là, dont les regards supplians appuyaient les paroles de sa protectrice.

— Concierge !… il veut être concierge !… Non… la place est prise… Qui diable lui a donné cette idée ? ajouta sir Stephen en toisant le vieillard d’un air soupçonneux qui surprit Eleanor…

— Voyons, reprit-elle, essayant de sourire,… concierge ou non, jardinier, sous-jardinier, homme à tout faire,… ce qu’il vous plaira, pourvu qu’il reste avec nous.

Il n’était pas malaisé de satisfaire gracieusement à ce vœu modeste, et, sans être bien adroit, sir Stephen pouvait tourner en plaisanterie familière, en joli marché d’amour, une complaisance impossible à refuser ; mais entre Eleanor et lui aucune intimité vraie n’avait encore pu s’établir. Il concéda maladroitement, comme contraint, la faveur si simple qu’on réclamait de lui. Et lorsque Eleanor lui tendit la main pour le remercier, s’il baisa, non sans ardeur, cette main glacée, ce fut en silence, ne trouvant pas un mot pour traduire à ce cœur délicat et fier les désirs dont il était dévoré.

De même après le mariage, et quand ils quittèrent Londres, Eleanor témoigna-t-elle vainement le désir d’aller passer à Penrhyn-Castle ces premières semaines, où il était si naturel de chercher un peu de solitude :