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et extérieures, lui seul devra exposer, sur tout l’ensemble et tous les détails de la politique anglaise, les plans et les vues du ministère. S’il n’est pas l’inspirateur suprême, il sera l’orateur le plus apparent du cabinet. L’éclat de cette haute situation en fait mesurer les difficultés vertigineuses : se trouver seul en face des hommes les plus expérimentés et les plus éloquens de tous les partis, avoir pour cliente une vieille et fière aristocratie avec ses traditions et ses intérêts permanens étroitement serrés à la vie d’un grand peuple ; — à un moment où les révolutions projettent sur l’avenir de l’Europe et peut-être de l’Angleterre des périls inconnus, entrer au pouvoir à la même place tour à tour occupée, en ce siècle, par Pitt, par Fox, par Canning et par Peel ! c’est enivrant, mais n’est-ce pas formidable ?

Déjà les ennemis intimes essaient de fasciner du mauvais œil de l’envie le nouveau chancelier de l’échiquier. Ils disent qu’il n’a aucune expérience administrative, qu’il n’aura pas la parole assez rapide pour répondre à tous les coups ; que sais-je ? ils exploitent surtout contre lui le préjugé que l’on a si long-temps retourné contre Burke, Canning et lord John Russell lui-même, le grossier préjugé qui faisait déjà dire à ce brutal de Tallemant des Réaux : a Un jeandelettre est un animal mal idoine à toute autre chose. » Mais quand on jette un coup d’œil rétrospectif sur la carrière de M. Disraeli, on a lieu de se rassurer : son passé répond de son avenir. M. Disraeli a eu depuis sa jeunesse deux facultés qui sont comme les ailes puissantes du talent, et qui font les personnalités fortes : il a eu deux rares courages, le courage de l’esprit, qui est l’originalité, et le courage de la volonté, qui est la persévérance. Il doit à l’originalité, trait distinctif de son talent, et à la persévérance, nerf de son caractère ; le pouvoir qu’il a eu jusqu’à présent de s’assouplir aux choses qu’on eût crues antipathiques à sa vocation. M. Disraeli est une des natures les plus perfectibles de ce temps ; il est de ces hommes privilégiés qui s’étendent et s’élèvent avec la situation qu’ils occupent et qui ont le don de se transformer et de rajeunir quand il faut. Pour montrer de quelle trempe est sa volonté et les miracles dont elle est capable, il n’y a qu’à rappeler l’anecdote de son début oratoire.

M. Disraeli entra à la chambre des communes en 1837. Il avait alors un peu plus de trente ans. À peine débarqué, le nouveau sénateur voulut, avec une témérité juvénile, faire son maiden speech. On raconte que ce fut une bizarre scène tout autre que M. Disraeli ne se serait pas relevé de pareille chute. Le lyrisme nuageux et prétentieux de sa harangue amusa tellement l’auditoire, que des éclats de rire universels accompagnèrent chaque phrase d’une ritournelle moqueuse, et forcèrent l’orateur à renoncer à la parole au beau milieu de son discours ; mais, en se rasseyant, M. Disraeli jeta aux rieurs une phrase