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l’effet des dernières mesures de sir Robert Peel. Elles ont beaucoup souffert depuis et se sont ralliées avec ardeur aux tories. En outre, les événemens de 1848 ont produit en Angleterre, comme dans tout le reste de l’Europe, une réaction vers les idées et les intérêts conservateurs. Cette réaction a également profité au parti aristocratique réorganisé. La décadence du parti whig a enfin secondé la marche ascendante du nouveau torysme.

Rien de maladif et de triste en effet comme les dernières années du ministère de lord John Russell. L’Angleterre a eu rarement à sa tête un gouvernement plus faible et plus tiraillé, et à la fin plus abandonné de l’opinion. Cette débilité chronique et ce discrédit final tiennent à plusieurs causes générales. La première est l’état de division et de confusion où les derniers actes de sir Robert Peel ont jeté les partis dans la chambre des communes et la pénible nécessité dans laquelle lord John Russell s’est trouvé de ne vivre qu’avec des majorités de coalition et de hasard, majorités changeantes, par conséquent incapables de fournir la base parlementaire, fixe, solide et permanente, qui seule peut soutenir un gouvernement fort. Le second vice du cabinet de lord John Russell a été l’esprit d’exclusivisme qui en a marqué la composition. Les whigs sont, comme on le sait, une confédération aristocratique à la tête d’une clientelle libérale ; ils ont toujours été célèbres en Angleterre par leur jaloux esprit de caste ; cette coterie patricienne s’est fermée en tout temps, bien plus que le parti rival, à l’avènement d’hommes nouveaux et de plébéiens illustres. Un mémorable exemple de cette jalousie aristocratique est celui de Burke, dont les whigs confinèrent le génie dans un emploi secondaire, et qu’ils n’admirent jamais dans un cabinet. Lord John Russell a outré la tradition de son parti. Trois familles alliées, les Greys, les Elliot, les Russell, remplissaient à elles seules les grands emplois du ministère. Il semblait, comme on le disait plaisamment, qu’il fallût, pour être ministre, descendre de l’arrière-grand’-mère de lord John Russell. Ce n’était plus de l’aristocratie, c’était de l’oligarchie. À force d’exclure, le ministère whig s’est isolé ; il s’est lui-même exclu du courant des forces vives et des sympathies du pays. La troisième et profonde raison de la décadence des whigs est la sénilité de leurs chefs. Depuis vingt ans, ce parti ne s’est jamais rajeuni : il a perdu un grand nombre d’hommes de talent, il ne les a pas renouvelés. La sève de la jeunesse n’est montée que dans les rangs du parti tory. Le ministère whig était un gouvernement sans verve, sans souffle, sans verdeur. Or, le rôle de chef de parti demande une richesse de volonté et d’action qui n’appartient qu’à la jeunesse. C’est encore une des leçons que nous avons payées cher : les vieux donnent leur âge aux partis qu’ils veulent conduire, et ils en retirent la force, l’espérance et l’élan vers l’avenir, qui leur manquent à eux-mêmes.